Samedi 25 mars
Me vient la question de la biographie des auteurs. Je ne pense pas tant à la question de leurs opinions, qu’on partagera ou non, qu’à celle de leurs actes, qu’on ne peut que prendre tels quels, comme des événements, mais auxquels chacun donnera plus ou moins d’importance. Sur ce sujet, difficile de ne pas distinguer les vivants des morts.
Savoir que Rousseau a abandonné sa femme avec leurs cinq enfants ne m’empêche pas de lire ses Confessions avec enthousiasme. Pourtant, quand on y pense, elle a dû avoir une vie bien sympa, bien facile, sa femme (lerci Jean-Jacques). Idem pour Rimbaud. Je clame à qui veut l’entendre mon amour pour sa poésie, sans vraiment intégrer le fait que cet anarchiste, fervent soutien des communards et épris de liberté, est tout de même parti en Afrique vendre des défenses d’éléphants et, à l’occasion, faire du trafic d’armes. Ou encore qu’il s’est procuré deux esclaves – esclaves – noirs dans les dernières années de sa vie. Comment cela, comment cette indifférence est-elle possible ?
Je néchappe pas à la règle : on a tendance à placer les morts dans une sphère « stérile », propre et bien nette. Où les taches n’en sont plus. Une zone où la morale n’existe pas vraiment. Comme j’ai grandi en apprenant à vénérer des livres sans me soucier des actes de leurs auteurs, je peux aussi séparer son œuvre de l’homme contemporain. Et cela m’arrive. Mais malgré tout, certains faits, comme ceux que j’ai évoqués, freineraient mon élan si j’apprenais qu’ils concernent des auteurs d’aujourd’hui. Parce que ce n’est plus seulement une question d’art, mais de vie, de ce qu’on cautionne ou pas : de la part de gens qui existent là, maintenant.
Je ne sais pas ce qui est le plus juste.