83 – esbroufe

Mardi 27 juillet

Ce blog avait pour principal but d’évoquer des oeuvres et des procédés de création qui me semblaient intéressants. Pour faire exclusivement de la critique positive, si l’on veut. Il y a tout de même un domaine qui mérite vraiment qu’on s’y penche : c’est celui de l’esbroufe. L’esbroufe concerne le film ou le roman qui marche et est célébré parce qu’il a les signes, non pas de la qualité, mais du succès. Il est intéressant de se demander si, de même qu’il y a une infinité de possibilités de créer un objet artistique fort et bon, il existe une infinité de manières de faire de l’esbroufe. Peut-être pas, le nombre des codes faciles à une époque précise s’avérant peut-être limité. Il est possible également que cette question soit en lien avec le vocabulaire étonnamment restreint de la critique que je constatais il y a quelques billets de ça, et qui nous fait formuler en des termes similaires l’éloge à un chef d’oeuvre et à une véritable daube. Comme si l’on pouvait, finalement, distribuer les bons points au hasard. Il faut voir, donc. Et il faut voir même absolument pour une raison simple, à savoir que la tentation de l’esbroufe est immense, permanente et toujours séduisante lorsqu’on travaille à une oeuvre. Il faut tout le temps lutter pour ne pas y céder. C’est pour cela que la création véritable implique un constant mouvement de refus. Malgré l’élan indispensable à tout geste créateur et la nécessité de se sentir concerné par ce qu’on fait, l’art quand il est grand se veut contre-pulsionnel.

Je ne vais pas revenir très longtemps sur Sonoma, de Marcos Morau. Non que j’aurais mieux à faire, mais parce que c’est très difficile d’expliquer en quoi faire clamer à de belles femmes, ici typées (espagnoles), des affirmations insensées mais vaguement propĥétiques sous des chants à la Goran Bregović, même dans le cadre sublime du Palais des Papes d’Avignon, ne peut en aucun cas constituer une oeuvre exceptionnelle. C’est d’autant plus dommage que certaines parties du spectacle sont superbes, celles notamment où les femmes gigotent comme des automates déréglés, le visage recouvert. Ça pourrait être douteux mais le fait est que là, il se passe quelque chose.

Malheureusement, comme nombre de chorégraphes, Marcos Morau est malade de vouloir absolument injecter du sens à son oeuvre. On trouve trop souvent chez eux ce désir de dire quelque chose. Dans ce cas, et très logiquement, beaucoup d’artistes font appel à ce qui produit le plus immédiatement et le plus facilement des idées, du concept, à savoir la parole. La chorégraphie court ainsi après le théâtre qui a acquis ses lettres de noblesse bien plus tôt qu’elle, comme si elle voulait régler un vieux complexe d’infériorité. Mais c’est une erreur, une énorme erreur. Car ce qui est beau dans la danse, c’est précisément son absence totale de sens. Cet art ne peut devenir puissant que lorqu’il s’astreint à exposer des corps, quand il se concentre sur ce seul geste pour en exploiter les formes, individuelles et collectives, et les possibilités infinies. La chorégraphie doit rester une pure jouissance du mouvement et de la transformation. Ce faisant elle doit faire du spectateur une bête : un être sensible recevant des stimulis visuels et auditifs. Et c’est tout. Surtout, qu’aucune prétention ne vienne s’ajouter à cette ambition déjà immense ou c’est le ratage assuré.

Dans ce spectacle, au milieu des paroles pompeuses sans pensée consistante, sous une musique aux accents religieux vidée de toute mystique, ne reste qu’une sorte de boursoufflure. C’est un premier point, mais il me semble que ça ne suffit pas ; que quelque chose m’échappe encore. Car comment prouver de façon imparable que le cliché est un cliché (ce spectacle n’en manque pas) ? Et que le mauvais goût, ou du moins un peu limite ne saurait basculer du bon côté même avec la meilleure volonté du public ? Ce sont de vraies questions : plus encore que pour ce qui est réussi, il me semble que toute démonstration d’un échec esthétique renvoie irrémédiablement à la subjectivité du récepteur. Sauf à expliquer que ces choix esthétiques posent problème sur un plan politique. Mais ce n’est pas le cas ici.

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