Dimanche 1er janvier
Quelques éléments d’explication. Je m’intéresse ici aux ressorts du récit, et à ce qui exactement provoque un rejet chez moi (rejet relatif cependant, car il m’arrive d’être prise dans une histoire, d’en être touchée, mais la méfiance est tout de même la règle).
Au cinéma, c’est frappant : je préfère les films à sensations aux fictions qui vont susciter une variété de sentiments (c’est-à-dire mobilisent mon émotion). Ces films sont de deux types : ce sont :
1) les films d’action ou à grand spectacle, où l’histoire est en réalité un prétexte à enchaîner des moments de plongée ou d’envolée (ici c’est la même chose !) perceptibles presque physiquement. C’est typiquement ce qui se passe dans la course poursuite, passage obligé du film d’action,
et 2) ceux qui tendent à une forme de mise en suspension (du récit, de la parole), voire de contemplation. Ainsi des premiers films de Sokourov, plus récemment de Sundown et Il buco.
Fondamentalement je ne crois pas que la frénésie soit opposée à une capacité de contemplation. Loin de l’empêcher, parfois elle saura même la favoriser. Pour cela je pourrais citer en exemple Eo (si proche en son cœur du très immersif Essential killing).
Autre exemple : Decision to leave, qui est le film qui m’a le plus marquée ces derniers mois, m’a plongée dans un état de sidération à cause de son montage saccadé et de ses points de vue changeant sans cesse. Là encore je décris un phénomène physique, assez fort et singulier cette fois pour me faire retourner aussitôt voir le film. Pourquoi ? Parce que j’en voulais encore ! Le scénario y est rocambolesque. Mais pendant le visionnage j’ai vite décroché, considérant l’histoire comme un prétexte (: à étourdir). Je crois que Park Chan-Wook ne veut pas faire autre chose que produire des images qui produisent de la sensation. C’est pour cela que je lui pardonne – en fait le lui reproche et l’en remercie à la fois – d’en faire trop. Trop de sensations, ça n’existe pas.
Pour autant, et si elles sont à rapprocher, sideration et contemplation ne generent peut-être pas exactement les mêmes sensations. Il s’agirait alors de déterminer en quoi celles-ci diffèrent (cf schéma). Cette dernière réflexion rejoint un autre lien que je faisais il y a quelques temps entre méditation et sport. Pour être sincère je ne suis pas certaine que ce lien soit totalement pertinent (mes propres observations à ce sujet ont évolué, si bien que j’ignore aujourd’hui auxquelles je dois me fier). Mais comme quand on utilise le sfumato, l’idée est d’aller au plus large pour parvenir à toucher quelque chose. Il faudrait dès lors se demander ce qui se produit au juste dans un corps qui voit, entend et se meut, en fonction des différents objets de sa perception (images, sons, mots). Établir ainsi une phénoménologie complète de la réception.
La dernière question que je me pose est si ce que j’aime dans les films est tout à fait la même chose que ce que j’aime dans les livres. Je parle des romans qui me sont chers, et s’avèrent toujours (a minima un peu, souvent entièrement) des anti-romans. Dans ces cas, est-ce que la lecture est capable également de procurer, à proprement parler, des sensations ? Et si non, pourquoi m’obstiner à mépriser les récits comme je le fais, être du moins capable d’en faire abstraction dès que la forme me le permet ? Qu’est-ce que je trouve, en tant que lectrice, dans le fait de porter une attention constante, obsessionnelle, à l’écriture ; de le faire à l’exception de tout le reste ?
Et pour le dire autrement, voir des films (des deux catégories mentionnées), lire, au même titre que toutes sortes de pratiques corporelles (danse, yoga, crossfit, course à pied…) ne sont-ils pas autant de moyens de se mettre la tête à l’envers ? De se faire un shoot, policé certes, légal et bien innocent soit, mais un shoot tout de même, d’hormones ?
Voilà un bilan comme je les aime, puisqu’il relance les dés.
Un commentaire sur “292 – récit, essai1”