325 – chords (four)

Dimanche 2 avril

« On est un groupe depuis près de 40 ans mais on n’a jamais fait de tube.

– Tu sais pourquoi ? Parce qu’on n’a jamais écrit de chanson à quatre accords.

– Quoi ?

– Oui, presque tous les tubes des 40 dernières années utilisent seulement quatre accords. »

Chez les théoriciens de la musique, cet accord maître est aujourd’hui appelé : « The axes chord » (vraiment).

311 – 45

Lundi 20 février

Aujourd’hui, Maud fête ses 45 ans. D’habitude elle se moque de son anniversaire et n’organise rien. Comme chaque année, elle prendra tout de même la peine de faire un gâteau le week-end. Pas pour elle – elle est flexi-vegan – mais pour ses enfants. « Pour les voir heureux, avec du chocolat aux joues ». Cette fois pourtant, elle a accepté de se plier à un bilan pour notre magazine Baba. Il faut dire, l’exercice ne sera pas long : on ne peut être plus joyeuse, plus satisfaite, en un mot plus épanouie que cette professeure de collège dynamique et souriante.

Alors que la morosité semble avoir gagné tout le pays pour un bon moment, nous lui avons demandé quel était son secret. Et à l’entendre, la recette est simple. Elle adore son boulot, et à l’inverse des nombreux professeurs qui, lorsqu’ils ne se plaignent pas de leurs conditions de travail déplorent la baisse du niveau scolaire, elle trouve que passer vingt heures hebdomadaires avec des adolescents est une chance irremplaçable – elle n’aurait pas pu tenir enfermée dans un bureau des journées entières avec des adultes. Le reste de son temps, elle le partage entre toutes ses passions : la pratique du sport, un mix de cardio, de renforcement musculaire et de yoga – six heures par semaine tout de même, et de temps à autres deux heures de danse, « pas plus sinon ça tire ! » -, mais aussi la lecture et l’écriture.

De temps en temps elle va à Paris travailler avec ses camarades de Réseau salariat, l’association qui promeut les thèses de l’économiste communiste Bernard Friot. Elle a même quitté un parti de gauche où elle assurait des responsabilités nationales pour défendre le salaire à vie, une cause qui lui tient particulièrement à cœur. Ici, pas de hiérarchie, pas d’instances nationales. Les rapports sont plus sains, nous lance-t-elle sans s’étendre davantage. Mais quand on s’étonne d’une telle pugnacité, la militante s’arrête, pensive, avant de nous expliquer : Peut-être que je garde encore espoir de changer le monde… Et puis, m’investir pour le collectif contribue à mon équilibre personnel. Tout simplement. Comme la vie ne peut être faite que de devoirs et d’obligations morales, elle profite de ses nombreux congés payés pour partir voir ses amis à l’autre bout du pays – cet été, elle ira vers l’est jusqu’à la frontière suisse.

Dans cinq ans la (future) jeune quinqua aura fini de rembourser son prêt immobilier, qui lui a permis de s’acheter en pleine campagne une grande baraque à retaper pour une somme dérisoire. Alors certes, elle ne vit pas dans une maison aux murs impeccables, au point d’hésiter encore à y inviter de nouvelles connaissances, mais c’est vrai, ce matin où elle nous a reçus, nous savourons avec elle l’espace qui se déploie devant nous et les rayons de soleil qui entrent par les fenêtres de son (immense) salon. Elle sait que fondamentalement on n’a pas besoin de plus et c’est une belle leçon. Mais s’il fallait résumer les choses, elle les formulerait ainsi :

J’ai une paix royale. Je maîtrise mon temps et mes fréquentations. Je n’ai jamais été autant en forme physique – bien plus que quand j’avais 20 ans. Et si je me sens aussi tranquille, c’est que je me suis totalement débarrassée des critères de réussite qui motivent mes contemporains. Le professorat est un métier déclassé ? Je m’en fiche, je m’amuse en cours avec les élèves et mon salaire suffit à nourrir ma famille, que demander de plus ? Débarrassée des critères de beauté aussi – en réalité je ne me suis jamais sentie aussi jolie, nous avoue celle qui a pensé un temps avoir recours à l’acide hyaluronique, avant d’y renoncer. Je comprends avec l’augmentation récente de ma pratique sportive que l’âge est un problème inventé. Puis d’ajouter, devant notre mine mi-incrédule, mi-admirative : quant aux critères de féminité, maintenant c’est moi qui décide.

Surtout, j’apprends des choses passionnantes tous les jours ; passionnantes parce que je sais ce qui m’intéresse et ne perds plus mon énergie à y chercher une quelconque valorisation extérieure. Je crois que ce qui a changé la donne, c’est que j’ai réussi à m’extraire de la nécessité de coller à l’actualité, de coller à mon époque, même si je sais que j’en reste un pur produit. Plus exactement, c’est comme si j’étais parvenue à faire le tri : j’en prends le meilleur (les transports, internet, les livres, la jeunesse, le militantisme, la salle de sport) et laisse tout le reste sur le bas côté (les infos, la course au pouvoir, l’argent, la maltraitance animale, la télé, les réseaux sociaux). Il m’a donc fallu 45 ans pour cela. Les gens de mon âge semblent parfois un peu dépressifs, un peu résignés. Certains donnent l’impression que tout est joué. Moi c’est le contraire. Je me dis : Maintenant que la voie est libre, tout reste à explorer, tout. Mon corps, la littérature, le monde.

La seule chose qui l’ennuie, nous confie-t-elle en fin d’interview, c’est que cette année encore elle a reçu des messages pour son anniversaire de la part d’Atoll, de Gammvert et Amazon qui ont son adresse mail. Elle doute de jamais parvenir à s’en débarrasser totalement. C’est une véritable plaie, ce traçage !, nous a-t-elle lancé dans un grand éclat de rire. Car notre hôte du jour est ainsi : elle aime faire de ses petits tracas quotidiens des pelures de clémentine. Alors comme nous, à Baba magazine, on n’est pas vraiment du genre à bouder notre plaisir, on applaudit des deux mains un tel parcours de vie. So inspiring !