293 – montagnes russes

Mardi 3 janvier

En une semaine, essayé de lire deux textes écrits par deux figures intellectuelles de la gauche radicale, et portés aux nues par celle-ci. Mais l’un (littéraire) comme l’autre (de forme plus classique) se sont avérés d’une grande vacuité. Les phrases s’y enchaînent, toutes tristement creuses, quoique rédigées dans un style chaque fois pompeux, venu avec son lot de mots qui claquent, parfois grossiers pour mimer la colère. Le ton, cela va sans dire, y est définitif. Car c’est bien connu : à idées radicales, style sans concession.

Qu’on se figure un peu. J’entends et lis dans mes médias de prédilection des éloges sans réserve, mets 10 euros dans le livre, puis dans l’autre, agis gonflée de l’espoir d’y apprendre des faits, de piocher quelques idées, des points de vue un peu élaborés sur la société, le monde, le libéralisme, puis, poussée par une curiosité sincère me lance dans la lecture, réellement désireuse de faire connaissance avec une parole amie. Joyeuse comme une gosse en fait. À la place, je trouve coup sur coup un vague concept étiré jusqu’au point de rupture, une broderie poussive qui s’étale jusqu’à atteindre tant bien que mal les cent pages d’un tout petit format (A5). Et là dessus rien ne vient. Pas une pensée, ni une manière originale d’appréhender le réel. Juste du blabla, mais de gauche. Autant dire le néant. Je sais qu’en écrivant cela je prends le risque de paraître aigrie. Ce n’est pas le cas. Pour pouvoir aimer et admirer, il faut aussi garder une conscience aiguë de ce dont on ne veut pas. Définir quelques contours, et ce faisant circonscrire son refus. Ça : non. Je ne pense pas en retour manquer d’enthousiasme dans ce blog. C’est finalement assez simple : l’amour d’une œuvre ne peut pas se passer de son inverse. Car créer, c’est faire des choix.

Ces lectures déçues me font toujours un mal de chien. Il me faut des heures pour me remettre des sentiments de salissure (peut-être de trahison) et de frustration qui s’emparent alors de moi. J’avais écrit il y a quelques semaines un long billet critique sur le dernier essai d’Alice Zeniter. Même si j’étais en désaccord avec ses thèses, celui-ci contenait de la matière, elle-même portée par la volonté de faire le tour de quelque chose (le rapport de l’autrice à la littérature). Le ton aussi me semblait le bon pour un tel exercice. Mon billet, bien que dur, manifestait finalement un certain respect. Je disais à A. Zeniter : parlons d’égale à égale. Mais ces autres textes dont je ressors vide, comme abêtie par effet de contagion ne méritent pas même un début d’analyse, si ce n’est peut-être sur la façon dont ils volent au vent. Sérieusement, c’est juste impardonnable. La gauche aujourd’hui me semble par trop fragile pour s’offrir le luxe de la fascination pour le cool et des effets de mode.

Fort heureusement il y a Spotify (!) et un chef d’œuvre du cinéma de science-fiction que j’ai pu voir sur grand écran le jour même du deuxième échec, à savoir Snowpiercer de Bong Joon-ho. Le film est tout bonnement magnifique. Certaines scènes de combat y sont belles à pleurer (d’émotion esthétique), d’autres suscitent un suspens capable de faire battre le cœur/la chamade/ou bien inversement. Enfin, j’ai pu observer et mettre à l’épreuve cette histoire de sensations encore balbutiante.

Snowpiercer en effet est un pur film d’action, dont le scénario s’inscrit dans la tradition du blockbuster. Si l’idée de départ reste originale – les survivants d’une glaciation artificielle de la planète sont confinés dans un train où sont maintenues d’une main de fer les inégalités de classes ; le film narre la révolte des pauvres -, les péripéties ne sont pas exemptes pour autant d’un certain nombre de clichés (ce dont, je pense, le réalisateur coréen était pleinement conscient) : héros héroïque mais tourmenté par une faute originelle, cheffaillonne exubérante au service du maître, séquences « émotion » réservées à la mort des seconds rôles, riches occupés à se vautrer dans la débauche, molosse donné pour mort qui se relève pour mener le combat final, humanité renaissante incarnée par une jeune fille et un petit garçon.

Malgré d’ingénieux rebondissements, le meilleur n’est évidemment pas le scénario du film, mais bien ses effets visuels. La beauté, via les jeux de rythme mais aussi de lumière, est inoubliable. Le choix des acteurs, dont la bombe Chris Evans, jamais loin du centre de l’image, et le non moins sublime, bien que dans un autre genre, Song Kang-ho, contribue d’ailleurs à l’impression qu’a été recherchée (et atteinte) une certaine perfection visuelle. Les gestes, les mouvements se déploient, à la fois fluides et changeants, se figent en tableau quelques instants, reprennent. Bong Joon-hu est un virtuose de la captation. Son inventivité en la matière reste peut-être inégalée.

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