319 – comme

Jeudi 22 août

Il faut lutter,

comme il faut lutter pour ne pas faire du confort, de l’apparence, de la propreté

tes priorités. Comme il faut lutter contre la tentation de leur donner toute la place. On pourrait s’y perdre. On y mettrait toute une vie.

Il faut lutter,

tellement lutter,

Il faut lutter pour rester seul avec toi-même, concentré, attentif à ce qui se passe, là,

au fond des tripes, se passe au confin des sens.

Comme il faut lutter pour refuser l’ordre du monde

L’ordre

du

monde.

Comme il faut lutter pour te remettre encore et toujours

à la tâche.

318 – tombeau

vendredi 26 juillet

Dans Le Tombeau de Graciano le récit long, minutieux, si précis qu’il en devient presque comique du délaçage de cordes, de harnais et autres pièces de cuir, et dont l’interminable lecture m’a procuré un plaisir total, aussi sincère que spontané, peut-être devrais-je même dire enfantin, que je ne m’explique pas bien – la découverte de ces lignes était pour moi comme un soulagement, mais un soulagement de quoi ?

Je l’associe à ces oeuvres de Kate MccGwire – depuis quelques jours, leur vision datant pourtant de plusieurs années m’apparaît en permanence dans mes moments de solitude.

Nul doute que l’addition (texte + objets) m’accompagnera dans la description que je veux absolument faire des ronces de mon jardin, érigées ces deux dernières années en murs démesurés, proprement monstrueux, et que j’aurai passé mon été à abattre.

302 – banshees3

Lundi 23 janvier

Attention, spoil.

Mon ami a vu le film et m’a fait part de son interprétation. Celle-ci me semblant au moins aussi convaincante que la mienne, je me dois de la retranscrire ici. Je ne vais pas entrer dans les détails de la personnalité de l’interprète, mais il faut tout de même savoir que de toutes les personnes j’ai rencontrées, c’est celle qui perçoit le mieux les rapports de force. Au point de lire systématiquement les relations – animales, humaines, politiques, géopolitiques – sous ce prisme, ce qui en général fournit des clés de compréhension des situations extrêmement pertinentes. À moi qui tends à égaliser les points de vue (le relativisme évoqué il y a peu), une telle approche, éminemment complémentaire, a toujours quelque chose de lumineux.

En l’occurrence, selon lui, toute la première partie des Banshees… s’attache à nous faire croire que Padraic est un peu simplet et Colm le malin du village (instruit, fin et artiste dans l’âme) ; puis toute la seconde partie démonte cette croyance pour créer une véritable inversion. La scène au pub, que j’avais évoquée comme une scène particulièrement forte, enfonce un premier coin : après la tirade de Padraic sur la gentillesse et son départ, sa sœur vient préciser à Colm que contrairement à ce qu’il affirmait, Mozart, dont il saluait l’œuvre éternelle, a vécu au 18ème et non au 17ème siècle. Cette précision n’a l’air de rien mais elle montre que Colm, aussi ambitieux et passionné soit-il, s’avère un peu en toc. Il se raconte qu’il est un compositeur sérieux, intransigeant, mais en y regardant de plus près ses connaissances semblent assez peu solides.

De même, dans un autre dialogue (génial), Padraic démontre à Colm qu’avec ses neufs doigts, il a atteint le summum de la folie ; il est tout simplement ridicule : « Moi j’ai dix doigts pour prouver que je ne suis pas fou, et toi ? Combien de doigts as-tu ? Neuf ? Neuf doigts, c’est le paroxysme (paroxysme, dit le soi-disant benêt !) de la folie. »

Et en effet, qui se retrouve finalement à brandir son violon sans plus pouvoir en jouer ? Qui, des deux, se comporte comme un véritable idiot ? Colm, tandis que Padraic, dans le changement qui lui a été imposé, montre toujours plus d’acuité. Dans tout le village, ce sera lui qui aura le cran de révéler à Colm sa bêtise. On pensait ce dernier puissant et tenace, il ne cessera finalement de se diminuer.

Mais le plus fascinant vient après. Une fois que Colm a bousculé sa routine (Padraic ne dit-il pas : « Certaines choses ne changent pas et c’est ça que j’aime. » ?), son ancien ami ne voudra plus s’arrêter. J’ai cru que la scène finale, sur la plage, était une scène de retour au calme. Mais non, il est tout à fait possible de la considérer comme un « point de depart ». Padraic, d’ailleurs, l’annonce très clairement ! Il faut l’écouter, car c’est lui désormais qui orchestre la relation. En effet, après avoir brûlé la maison de Colm, Padraic lui fait comprendre qu’il n’a absolument pas l’intention de s’en tenir là :

Colm : Je suppose qu’on est quitte, maintenant.

Padraic : Non, on serait quitte si tu étais resté dans la maison. Tu es sorti, n’est-ce pas ?

Regarde, tu as voulu jouer. Alors on va jouer, semble dire Padraic. Tu as mis tes doigts dans la balance ? Et bien moi, je renchéris. Je mise cinq, dix fois plus. Je te prends une main. Je te prive de ta maison. Fais-moi voir, qu’est-ce qui te reste maintenant ?

Cette interprétation me plaît énormément. Elle me donne même une sacrée pêche. Plus de tristesse, donc, mais de la jubilation – même si l’art, justement, permet aussi de jubiler de tristesse. Une pure jubilation, si grande que j’irai revoir ce film. Je sens qu’il n’a pas fini de me travailler.

289 – c’est cad(i)ot

Jeudi 29 décembre

Entretien absolument passionnant, avec de nombreuses références emballantes et autant de lumineuses réflexions. Bon sang quelle vie que celle de cet auteur, qui n’a cessé de collaborer et continue de chercher une voie d’écriture, un chemin possible avec une vraie énergie, peut-être même fièvre.

Je dois sitôt ajouter deux autres projets à ma liste de 2023 :

– lire les poètes américains mentionnés (revoir récemment Dead man, où il est question de William Blake m’y avait de toute façon préparée),

– envoyer mon essai sur le récit à Olivier Cadiot himself, car il me semble bien que nous parlons de la même chose, à savoir la chaleur (au creux du ventre) que produit la littérature, et qui se dégage hors, ou plutôt à l’intersection des classifications de genre.

279 – guerre

Mercredi 30 novembre

Longue vie à ma prof de sport qui a mis le Wu Tang Clan pour accompagner l’entraînement.

La musique à elle seule décide de sa saveur.

Souvent elle est joyeuse, festive. Acidulée à nous tenir au bord du rictus.

Parfois elle est si épicée, elle échauffe tant nos corps que les transes qu’elle provoque forgent une accoutumance.

Ce soir elle était astringente et nous menions une guerre.

Une guerre noble – classe – et peut-être sans objet.

Une fausse guerre mais tout de même.

Une guerre de quarante-cinq minutes.