228 – peau de chagrin

Jeudi 23 juin

Suite à ma note sur l’ennui d’Arthur Rimbaud, on me suggère la lecture de L’épuisé de Deleuze, courte analyse de l’œuvre de Beckett. Je m’exécute. Comme parfois chez ce philosophe certains propos m’échappent. Comme souvent il amène la pensée à la question de l’image. Comme toujours je cueille avec ravissement les quelques fulgurances que je suis capable de saisir. Dont celle-ci :

un certain épuisement physiologique : un peu

que décomposition du moi.

(Gilles Deleuze, L’épuisé)

Molloy, Malone, Willie, Nagg et les autres, mais aussi bien sûr l’artiste, celui qui voulait attraper la poussière, aller de fond en comble voir ce qu’il y a en dessous, ne possèdent pas de peau de chagrin. Ils en sont l’incarnation encore balbutiante juste avant qu’elle ne se désintègre tout à fait. Chiffon mou s’agiter.

168 – friot

Dimanche 27 mars

Comment faire du théâtre militant ? En faisant du théâtre. Le travail d’écriture et de mise en scène (foisonnante) dans En attendant Friot nous fait voir une vraie pièce – rire, être gêné aussi (très important, le malaise, au théâtre) – et non pas un bidule à thèse.

Et puis il y a les corps. J’avais presque oublié comme les corps une fois sur scène prennent de l’ampleur. Surtout quand on est dans cette toute petite salle du 100 ecs, installé au premier rang. On regarde et entend secouer la chair à deux mètres à peine, admire la quantité de postillons que fait voler l’être humain quand il parle, sent chaque modulation de la voix. C’est comme un match de catch ou un cours de cardio ou ce genre d’épreuve physique : joyeux, intense et malaisant à la fois. Tout ça à cause du pas de côté permanent qui y est fait (le fameux pas !, théorisé par Bergson), et qui fait que le théâtre, pour être « efficace », doit toujours être un peu plus que la vie. Un peu trop.

Un moment de la pièce hors de tout est le débat retranscrit d’une émission de F. Taddéi qui tourne à la bagarre. L’extrait se passe au ralenti. Les visages furibonds sont totalement déformés. On ne voit plus deux interlocuteurs mais des marionnettes grossières, les guignols Stalone et PPDA aux mentons enfoncés, des personnages de Gotlib ou encore France au-dessus de son volant, bloquée dans les embouteillages. C’est assez dégoûtant. Mais l’idée (et son incarnation spectaculaire) me plaît beaucoup : vouloir avoir raison donne une laideur monstrueuse. Ce désir-là éloigne l’homme de l’humain. Autant ne pas s’acharner.