323 – résolution1

Mardi 28 mars

C’est toujours amusant de constater comment ce qui représentait pendant des semaines entières un problème, un sujet sur lequel on bute irrémédiablement, peut se dénouer d’une façon aussi soudaine que spontanée. La nature même du problème s’est effacée, évanouie comme par enchantement et sans qu’on ait l’impression d’avoir rien fait de sérieux pour y parvenir, tout cela dans un temps indéfini ou que l’on serait du moins bien incapable de circonscrire – Quoi ? Entre la nuit de lundi et la matinée de mercredi ? hier de 16h à 17h34 ? Plus encore : ce qui paraissait un nœud impossible à défaire, que l’on avait déjà mis tant de temps à formuler à cause de son caractère précisément – et apparemment, apparemment seulement – inextricable devient la solution même. L’élément nouveau qui nous fera avancer, celui qui nous permettra une évolution favorable. Le désespoir et la contrainte font alors place à un sentiment de légèreté. Bon sang, que faut-il faire ? Mais enfin, c’est l’évidence même !

Le blog si présent va se poursuivre, aussi éclectique qu’avant, pour retranscrire mes impressions et mes analyses, mes questionnements et mes réflexions sur l’art – des œuvres, des objets – et sur le corps. Les descriptions plus spécifiquement physiques seront finalement autant de brouillons d’écriture, de réserves pour la suite, car je sais désormais quelle expérience (d’écriture et de lecture) je veux tenter. Mais pour cela je dois m’entraîner.

Je vais reprendre mon roman en cours, que je trouvais trop classique dans sa forme. Il me faut tout revoir sous le prisme corporel. Soulagement, joie et hâte de voir ce que cela pourrait donner.

319 – forme (la grande)

Samedi 18 mars

Il aura suffit de peu de choses pour que mes intentions se clarifient. Le chemin est encore vaste à accomplir mais au moins, il ne se fera pas dans un brouillard épais. Peu de choses, à savoir : deux phrases entendues, une écrite. Je raconterai les premières. Cette semaine mon portable sonne tard, alors que je suis, un peu par hasard, dans mon jardin sous les constellations – un beau moment. C’est une amie dont je n’ai pas eu de nouvelles depuis trois ans. Elle me raconte, entre mille autres anecdotes, les râles de son mari au moment de sa mort. J’apprends quelque chose. Les romans du XIXème siècle ne mentaient pas. L’agonie s’accompagne de râles. Or j’avais toujours pensé que ce détail, très marquant, n’avait pour unique but que de marquer. Emma vomissant son cyanure. Thérèse payant son crime, Goriot sa gentillesse. Je pensais qu’alors tout était feinte. Non non Flaubert et ses copains disaient vrai. Incroyable. Le récit qui m’est fait ici n’a rien de sinistre – mon amie est d’une gaîté rieuse, presque primesautière, à toute épreuve. Cependant au détour d’un mot je perçois une brisure. Soudain fendillée, la puissance de cette parole se libère et m’émeut. Et je pense :

Le corps, décidément. Car il n’y a que lui.

Assez vite (le lendemain) me vient le lien avec mes billets récents, et de plus en plus fréquents, sur le sport – billets que je fais toujours un peu contre moi, puisqu’ils ne faisaient pas partie du projet à l’origine de Sarga. Avec également l’espèce de dilemme qui se pose depuis quelques temps en des termes imprévus. L’écriture ou l’entraînement. Alors que jusqu’à maintenant, les directions et les bifurcations s’étaient d’elles-mêmes toujours imposées à moi, pour la première fois me semble-t-il, j’ai l’impression de devoir faire un choix. Ce n’est pas une sensation agréable. Elle n’est pas dans mon tempérament. Mais de toute évidence il y a nécessité. Tout d’abord parce que je n’ai matériellement plus le temps de faire les deux. Souvent je rentre essorée par une ou deux heures d’exercices, heureuse certes mais flottante, et incapable seulement de regarder un film en entier, que dis-je ?, un documentaire sur les pharaons d’Egypte au format « jeune public ». Ma consommation d’objets culturels est réduite à peau de chagrin. Je perds le fil de mes romans (ceux que je lis, celui que j’écris). Le temps, l’énergie. La base.

Pourtant – et c’est là la deuxième cause du dilemme – je n’éprouve aucun manque. Tout va pour le mieux, les cellules fouettées par l’exercice et le sang que l’apport d’oxygène revigore chaque jour m’accaparent entièrement. Je les observe agir en moi, non : je les observe m’agir avec une fascination de nouveau-né. Ainsi, mon attention se porte-t-elle à présent sur les sensations et les changements physiques. Voilà tout. Ce n’est pas rien. C’est même prenant. Je ne reviendrai pas en arrière.

Un dessein advient donc peu à peu. Littéraire. Ce faisant il dissoudra, je l’espère, le dilemme. Je devrai désormais écrire sur, par et depuis le corps. Tisser un long témoignage, incessant. Evoquer bien sûr celui des autres aussi. Il faudra faire alors de ces corps vécus des corps écrits ; et pour cela transformer le mien en oeil-ma-bouche ; en faire le prisme de ce qui m’entoure comme de ce qui m’habite. Il faudra que je voie et parle à travers lui, et non plus l’inverse. Cela signifie : rédiger souvent, à rythme du moins régulier, afin de rendre le rapport minutieux de son évolution, peut-être et pourquoi pas – quoique tout de même j’aille là un peu vite en besogne – jusqu’à l’heure ultime (celle du râle).

Une difficulté cependant se présente : si je veux tout écrire, c’est-à-dire sans ambages, il s’agit d’éviter absolument de tomber dans le journal intime. Car ce n’est pas tant le sujet qui compte (je veux dire : moi en tant que sujet), que la chair et ses modifications. Ses états comme ses interactions avec l’environnement. En un mot (trois), la mécanique magique. Ici subsiste un nœud de taille. Je voudrais m’observer certes, mais en évacuant ce qui fait de moi une individualité.

Je pourrais dire : il reste encore à donner au récit sa forme.

Ça c’est pour le ton primesautier sur fond d’orage.

306 – mou

Vendredi 3 février

Surtout, il était mou. Lorsqu’il s’asseyait, quelque chose en lui s’affaissait très vite. Presque instantanément. Comme s’il n’avait pas de colonne vertébrale, ou qu’elle était en caoutchouc. C’était un peu répugnant à voir. On aurait dit un insecte auquel on avait retiré la carapace, et qui continuait à s’agiter en faisant du sur place.

303 – lettre

Vendredi 27 janvier

Repris la rédaction de Trois cafés avec finalement une lettre à Élodie de son ex. Elle est à retravailler car trop écrite et, je crois, beaucoup trop féminine. L’ex est un sportif. Tout le travail consistera à ne pas tomber dans le cliché de la brute épaisse – il est sensible et le montre – mais à le rendre tout de même vraisemblable. Il me faudra veiller à m’éloigner de moi. Enthousiasmante perspective.

Voici un premier jet.

298 – contre soi-même

Mardi 17 janvier

Littérature, essai

Tristan Garcia explique que ses romans viennent toujours contredire ses essais, et inversement. Il conçoit l’avènement de chacun d’entre eux comme une manière de penser contre lui-même. Je trouve cette idée particulièrement intéressante et réalise que c’est ce qui se passe en ce moment, de mon côté aussi, quand j’envisage la rédaction d’un texte contre le récit alors même que j’entame la dernière phase d’écriture d’un récit romanesque – récit qui intervient après des années de travail à la lecture et la rédaction de fictions inscrites hors du roman classique. Le grand écart a quelque chose d’assez déroutant, et passionnant. Mais le relativisme est décidément ma maison.

C’est que pour critiquer une forme, il est indispensable d’en comprendre les rouages et de maîtriser sa construction. Dans le cas contraire, on (se) donnerait le sentiment de la rejeter par simple incompétence. On constatera le même phénomène dans l’art pictural : au cours du siècle dernier, beaucoup de peintres abstraits par exemple ont aiguisé et développé leur connaissance du dessin pour mieux s’en éloigner. Ou plutôt : pour finir par distordre les lignes attendues et aller, à partir de celles-ci, vers d’autres régimes de perception. La pratique du dessin académique n’était pas un passage obligé seulement pour des questions d’estime de soi et de regard des autres (via l’acquisition de signaux de compétence), mais le point de départ de leur recherche, cela même dont il faudrait prendre ses distances. Le quai d’où l’on jetterait l’ancre.

La scène avec l’enfant

Je trouve petit à petit l’approche, l’angle d’attaque de la scène. Il s’agit simplement de déclencher l’imaginaire du lecteur par des indices disposés un peu partout, dans un effet parodique, peut-être jusqu’au comique (genre : jouons ensemble à Cluedo). La présence de ces signes de violence potentielle devrait susciter la peur, du moins un suspens, la croyance que quelque chose de terrible va arriver.

Schéma de préparation :

Télévision allumée :
film policier, sons de fusillade

297 – notes, musique

Dimanche 15 janvier

Ce matin :

puis :

et :

Cet après-midi :

– elle ne retrouve pas ses clés, appelle Stéphane,

– il doit la rejoindre pour récupérer la voiture mais l’enfant dort (comment faire ?)

– « je peux le garder si tu veux ».

Dans cette scène je voudrais réussir à créer un malaise.

Qu’on voie venir le moment où le narrateur expliquera : « Il me dérangeait, je m’en suis débarrassé. »

Seulement, je ne sais pas du tout comment faire (comment faire ?). Comment rendre ça, cette gêne. Comment retranscrire un chewing-gum qui colle et qui a un prénom.

Je pense beaucoup à Javier Marias en ce moment. Cette fois encore, pour étirer le moment de la tentation (de la spéculation) du narrateur.

Mais je le sais, il faut que je regarde ailleurs. Plutôt du côté du cinéma.

Déjà – d’office ! – reprendre le mot « gamin » pour parler de l’enfant.

Pour le clin d’œil, et la menace.

Ce soir :

,

enfin :

Beaucoup de musique mais peu de notes, me dira-t-on.

Justement, c’est bon signe.

292 – récit, essai1

Dimanche 1er janvier

Quelques éléments d’explication. Je m’intéresse ici aux ressorts du récit, et à ce qui exactement provoque un rejet chez moi (rejet relatif cependant, car il m’arrive d’être prise dans une histoire, d’en être touchée, mais la méfiance est tout de même la règle).

Au cinéma, c’est frappant : je préfère les films à sensations aux fictions qui vont susciter une variété de sentiments (c’est-à-dire mobilisent mon émotion). Ces films sont de deux types : ce sont :

1) les films d’action ou à grand spectacle, où l’histoire est en réalité un prétexte à enchaîner des moments de plongée ou d’envolée (ici c’est la même chose !) perceptibles presque physiquement. C’est typiquement ce qui se passe dans la course poursuite, passage obligé du film d’action,

et 2) ceux qui tendent à une forme de mise en suspension (du récit, de la parole), voire de contemplation. Ainsi des premiers films de Sokourov, plus récemment de Sundown et Il buco.

Fondamentalement je ne crois pas que la frénésie soit opposée à une capacité de contemplation. Loin de l’empêcher, parfois elle saura même la favoriser. Pour cela je pourrais citer en exemple Eo (si proche en son cœur du très immersif Essential killing).

Autre exemple : Decision to leave, qui est le film qui m’a le plus marquée ces derniers mois, m’a plongée dans un état de sidération à cause de son montage saccadé et de ses points de vue changeant sans cesse. Là encore je décris un phénomène physique, assez fort et singulier cette fois pour me faire retourner aussitôt voir le film. Pourquoi ? Parce que j’en voulais encore ! Le scénario y est rocambolesque. Mais pendant le visionnage j’ai vite décroché, considérant l’histoire comme un prétexte (: à étourdir). Je crois que Park Chan-Wook ne veut pas faire autre chose que produire des images qui produisent de la sensation. C’est pour cela que je lui pardonne – en fait le lui reproche et l’en remercie à la fois – d’en faire trop. Trop de sensations, ça n’existe pas.

Pour autant, et si elles sont à rapprocher, sideration et contemplation ne generent peut-être pas exactement les mêmes sensations. Il s’agirait alors de déterminer en quoi celles-ci diffèrent (cf schéma). Cette dernière réflexion rejoint un autre lien que je faisais il y a quelques temps entre méditation et sport. Pour être sincère je ne suis pas certaine que ce lien soit totalement pertinent (mes propres observations à ce sujet ont évolué, si bien que j’ignore aujourd’hui auxquelles je dois me fier). Mais comme quand on utilise le sfumato, l’idée est d’aller au plus large pour parvenir à toucher quelque chose. Il faudrait dès lors se demander ce qui se produit au juste dans un corps qui voit, entend et se meut, en fonction des différents objets de sa perception (images, sons, mots). Établir ainsi une phénoménologie complète de la réception.

La dernière question que je me pose est si ce que j’aime dans les films est tout à fait la même chose que ce que j’aime dans les livres. Je parle des romans qui me sont chers, et s’avèrent toujours (a minima un peu, souvent entièrement) des anti-romans. Dans ces cas, est-ce que la lecture est capable également de procurer, à proprement parler, des sensations ? Et si non, pourquoi m’obstiner à mépriser les récits comme je le fais, être du moins capable d’en faire abstraction dès que la forme me le permet ? Qu’est-ce que je trouve, en tant que lectrice, dans le fait de porter une attention constante, obsessionnelle, à l’écriture ; de le faire à l’exception de tout le reste ?

Et pour le dire autrement, voir des films (des deux catégories mentionnées), lire, au même titre que toutes sortes de pratiques corporelles (danse, yoga, crossfit, course à pied…) ne sont-ils pas autant de moyens de se mettre la tête à l’envers ? De se faire un shoot, policé certes, légal et bien innocent soit, mais un shoot tout de même, d’hormones ?

Voilà un bilan comme je les aime, puisqu’il relance les dés.

250 – partie III

Vendredi 16 septembre

Pas assez avancée à ce stade. C’est la partie la plus nette, la plus claire dans mon esprit mais aussi la plus difficile à écrire. Elle doit former un tunnel.

Pour le moment, j’ai beau ciseler, je la trouve toujours trop larmoyante. Il ne faut sur ce point aucune ambiguïté : il n’y aura dans la parole prononcée aucun épanchement. Je ne peux pas poster cette partie-là sans la travailler davantage (et alors, mon soudain désir de publication sur le blog n’aura été qu’une ruse de la raison pour me remettre au travail – pas sûr que ça suffise).

Dans cette dernière partie, je voudrais que la parole qui se dévide soit glaciale. Non pas inutilement cruelle : il faut juste que cette parole exclue toute possibilité de sentimentalité. Au point que, même si le personnage vient à évoquer dans son récit une émotion passée, rien de cette dernière ne soit réactivé. Que le locuteur parlant de tristesse ne semble pas triste. Que le mot qui la désigne apparaisse pour ce qu’il est : un mot désignant un fait. Et rien d’autre. Or ça c’est déjà un effet bien, bien dur à produire.

Mais en même temps, je voudrais qu’une telle parole soit une délivrance. Qu’elle dessine dans son déploiement un mouvement de libération, un élan.

Pas parce que la parole se libérerait soudain (surtout pas !). Personne, dans ce texte, ne cherche à se soulager. Mais parce que la parole en se resserrant, en allant à l’essentiel, amplifie le réel ; je veux que les sons des mots prononcés délient le langage et ce qu’il retranscrit, à savoir la vie même. On pourrait voir une contradiction avec ce que je disais précédemment (et mon exemple de l’émotion). Mais non. Ce sont deux trajectoires indépendantes. Parler du passé, triste ou heureux, ne doit pas rendre mon personnage triste ou heureux. Mais parler de ce qui est (ou a été), triste ou heureux, génère ici une forme de puissance (une grâce ?).

J’aimerais donc que cette parole soit une libération pour celui qui parle, bien sûr. Mais aussi une libération pour le lecteur.

Qu’en découvrant ce que l’autre a à raconter, celui-ci fasse l’expérience de la vérité crue comme voie de salut.

Et le plus important de tout. Que l’évocation des faits dans leur complétude s’avère le seul acte d’amour véritable.