Très bon film, sur lequel beaucoup déjà a été dit et écrit. Quelques impressions à chaud : ce que j’aime vraiment, et qui me met toujours dans une grande exaltation, c’est quand un artiste parvient à rendre le très peu de choses dont sont faits les événements et les interactions humaines. Les conversations dans la discothèque sur la consommation de drogue et la vie en mer ; la drague douce entre Shanna et de Roller, puis plus tard les premiers signes de jalousie ; les négociations avec le prêtre pour laisser les paroissiens aller au casino ; les retrouvailles complices entre de Roller et le maire, leur système d’entraide ; l’éviction par de Roller de sa secrétaire en forme de prêt de services (« Et ce qui la caractérise, c’est sa loyauté ») ; la jubilation de Shanna (« on te revoit dans trois jours ?… dans trois mois ! »)… Ce sont là des moments qui font événements dans la vie locale, mais on voit, ou plutôt on sent comme ils sont faits de presque rien.
Il bavarde, et soudain, par un glissement à peine perceptible, quelques phrases, de Roller devient partie prenante de la revalorisation du vieil hôtel. Un étranger alcoolisé fait un malaise, il est pris en charge. Et ce n’est en réalité pas grand-chose : un verre, trois mots dont un pour rassurer une femme sur place. Quelques minutes vaguement penché sur lui, dans une semi-attention. Le tour est joué. Tous ces micro-événements qui font la vie, qui font vie en société, laissent entrevoir avec quelle facilité pourraient, pour le même prix, advenir – se glisser – la mort et le drame : ici, en l’occurrence, les essais nucléaires décidés ailleurs, en haut lieu – si ce n’est que le haut lieu non plus n’existe pas, qu’il est fait d’une semblable légèreté (je ne trouve pas le mot adéquat). Éric Vuillard, dans Une sortie honorable, essayait souvent avec succès de reproduire cela : l’Histoire, en tant qu’elle est constituée de petites choses. De petites gens avec leurs petits gestes et leurs petits dialogues. Albert Serra y excelle.
Rien n’est plus juste mais rien n’est plus dur aussi que de manifester comme tout est fait de ces petits riens (je ne peux que me répéter, il n’y a pas vraiment de mots pour le dire, ce ne peut être que montré), que la vie avance ainsi et qu’au fond il n’y a rien d’autre. En être spectatrice provoque toujours chez moi une sorte de vertige : un vertige très spécifique, que l’on peut qualifier d’existentiel. L’effet produit l’est bien davantage que par l’exagération, les grands gestes, les punchlines. Ainsi, dans la boîte où l’érotisme est exacerbé mais s’exacerbe uniquement par touches : la peau presque caoutchouteuse des Polynésiens qui recouvre leurs muscles, la sueur qui s’en dégage, la façon dont les corps souvent androgynes sont disposés dans l’espace, tantôt maintenus dans un menu mouvement (marche des serveurs, petits pas de danse), tantôt agglomérés par grappes. Tout se fabrique en silence. Il n’en faut pas davantage. Ou plus exactement : la suite se devine. (1).
Je pourrais encore multiplier les exemples. Mais il me semble qu’on peut citer la scène de surf comme la quintessence de la pratique de Serra. On glisse sur l’eau, on fait un tour pour voir (le prétexte est la visite d’une écrivaine sur l’île) ; et l’on se retrouve sans l’avoir réellement appréhendé, sans l’avoir mesuré, en train de patiner sur un rouleau de mer. Le cœur se soulève légèrement. Quelque chose (s’)est passé. Et cela s’appelle vivre. Chez Serra la tragédie est un simple glissement.
Dans cette atmosphère à la fois étrange et précise, on pourrait dire de surréalité, il y aura pourtant une fausse note : l’amiral. Celui qui l’incarne surjoue. Plus exactement il surjoue le surjeu – car à n’en pas douter, c’est sa fonction. On comprend en quoi il vient couronner en fin de film tout le dispositif, nous montrant alors à quel point la vie sur l’île et l’histoire qui s’y tisse sont une fiction, à l’image des fictions (mais il faudrait dire des mascarades) que nous jouons collectivement, en métropole.
Mais la présence de cet homme au sourire trop appuyé, dansant les bras levés et répétant ses répliques avec ostentation (sans les tâtonnements bouleversants d’un Magimel) m’a vite paru un peu pénible. Elle a ruiné toute la subtilité qui précédait ses apparitions. Serra aurait dû se passer du décryptage qu’un tel personnage vient opérer. Plus largement, la dernière demi-heure, où l’on bascule d’un enchaînement de scènes, quand bien même absurdes, suspendues ou sans finalité claire, à une pure succession de tableaux – quelque beaux que fussent ces tableaux -, juste après un monologue aussi définitif que dérisoire de de Roller, s’est avérée à mon sens trop explicite.
Nous tenir au creux du réel, lovés dans son rouleau, au sein de situations spécifiques et entièrement faites de dialogues vraisemblables et ténus (vraisemblables parce que ténus) me semblait bien assez. Il était inutile de finir par nous plonger dans une franche hallucination : nous la suggérer suffisait. Le réalisateur, notons-le, y est tout de même parvenu pendant plus de deux heures.
(1) Remarquons le contraste de ces corps élastiques avec ceux des occidentaux, tous vieillissants (mis à part les jeunes recrues de la marine, qui apparaissent comme un clin d’oeil discret au Querelle de Fassbinder. Mais qu’on ne s’y trompe pas, la charge érotique est bien du côté des indigènes). La beauté a définitivement quitté Magimel, en même temps qu’il a franchi une frontière, est passé à autre chose. Il n’est plus tant un visage bien fait qu’une masse homogène et bougeant tant bien que mal ; c’est avec cela qu’il faudra désormais composer. L’Américain est particulièrement chétif ; l’amiral et l’homme d’affaire qui perd son passeport sont de vieilles choses fragiles (l’un s’écroule ou se déplace comme un pantin, l’autre reste inerte de longues minutes) ; sauf à se rendre plus vulnérable que jamais, on saisit immédiatement en retrouvant ici Sergi Lopez qu’il n’apparaîtra plus dans aucun film entièrement nu comme c’était pourtant son habitude, pour ne pas dire sa marque de fabrique (on lui a souvent fait incarner, et parfois de manière caricaturale, une sorte de puissance animale hispanique, en un mot une espèce de taureau). De Roller d’ailleurs, pour enfoncer le clou, fustigera en fin de film « la peau qui pend » de tous ces coloniaux.
Larrain – des des rapprochements – de vives et joueuses tonalités, vives et joueuses – … un peu ennuyante. Son pouvoir d’expressivité est assez restreint. En revanche, constituée de mouvements, … toutefois… – faite de tissages innombrables, fait de rencontres et de désirs
Sortir des critères de l’époque pour former son propre jugement est peut-être l’expérience la plus intéressante à mener pour un contemporain. Regardons un peu ces critères. Sujets de polémiques, révélations, scandales, clash font l’actualité. D’une certaine manière, dans ce paysage où tout est inflammable, où tout est flamme, les guerres elles-mêmes finissent par apparaître comme des polémiques d’intensité extrême, et leurs chefs, les protagonistes d’un conflit – un conflit simplement plus meurtrier que les autres. Le traitement se noie et s’indiffère dans la masse de dizaines de scandales de toutes sortes. Un événement a eu lieu, il nous a affolés quelques instants. Mais déjà l’on se met à bailler, on tourne la tête et guette du nouveau. Et par ici, alors ? Un coupable, une victime ? Aucune nuance ? Parfait.
Le résultat est que du côté du public on cherche partout des idoles. Des idoles éphémères font amplement l’affaire. Les idoles doivent parler sans trembler. Elles peuvent, au besoin, se montrer insultantes. Plus elles écrasent leurs interlocuteurs, de préférence lors de l’affrontement plutôt qu’à contre-temps, plus elles gagnent en popularité. Il faut savoir être vif, ferme et cassant. Avoir le verbe haut ou, à défaut de celui-ci le verbe fort. Toute idole doit, en un mot, être virile. La chose bien sûr n’est pas nouvelle. Elle s’est juste amplifiée, puis généralisée.
Et bien je crois que je vais chercher autre chose. Je vais retourner à la base. Je vais retourner au corps. Une personne qui ne prend pas soin de son corps, qui ne le chérit pas comme le bien le plus précieux qui lui ait été donné perdra mon attention. Sa parole n’aura plus de crédibilité. Celui ou celle qui donnera son avis sans être capable de courir cinq cents mètres, qui se cachera derrière son compte twitter ou la fausse table d’un plateau de télévision pourra toujours causer. On ne peut émettre de bonnes idées quand on passe sa vie prostré sur une chaise, courbé derrière un écran ou un grand bureau en chêne ; et quand bien même ce serait le cas, ces idées ne m’intéresseront plus. Elles ne parviendront plus jusqu’à moi.
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne prétends aucunement que les idées des gens qui entretiennent une bonne condition physique ne disent que des choses intelligentes. Ni même que les gens malades ou rachitiques seraient des êtres humains moins dignes que les autres. Je ne cherche pas à désigner des classes inférieures, pas plus qu’à décréter l’existence d’une élite. Je pose simplement un critère préalable à mon écoute attentive.
Il s’agit d’être cohérent. Pas de pensée sans corps. Et davantage, même : les idées sont le produit du corps. Je l’affirme depuis longtemps. Mais il ne faudrait pas que ce ne soient là que des mots. Pire : une posture. Les idées se forment en bout de chaîne – elles sont la dernière vertèbre. Si on le pense réellement, il apparaîtra à quel point le monde tourne à l’envers. C’est un retournement complet des valeurs en vigueur qui s’opère ici. Car il faut reconnaître qu’une fois ce critère appliqué, nombre de chefaillons, outrageusement valorisés socialement, tombent aussitôt de leur piédestal. Ils retrouvent immédiatement ce qu’on pourrait appeler « leur juste place ».
Ainsi du patron bedonnant humiliant les jeunes apprentis (1) ; du souffreteux affolé à l’idée que quelques Africains fringants envahissent la patrie ; pareil pour le chef de file écolo se nourrissant de Mc do entre deux diatribes (il est aussi fréquent que les deux précédents) ; le toutologue cathodique fréquentant tous les restaurants en vue de la capitale ; l’universitaire anxieux expliquant la marche du monde depuis sa bibliothèque ; l’expert ès bidules ne se déplaçant qu’en taxi la semaine, en avion le week-end.
Soyons conséquents, enfin. Sérieusement. Qu’on les fasse se baisser et toucher leurs pieds. Pour voir. Remplir d’air le thorax comme un accordéon. Qu’on les regarde lever les genoux trois minutes d’affilée. Grimper dans un arbre, se soulever à une corde, en un mot se porter – car c’est bien de cela qu’il est question dans cette affaire, être capable de porter la matière dont on est fait. Voilà le scandale : il y a quelque chose de profondément malhonnête à laisser le pouvoir à des êtres incapables de se porter. Ces gens-là sont morbides. S’ils ont évacué toute vitalité en eux depuis longtemps, comment leur faire confiance ?
Qu’ils lèvent les genoux trois minutes d’affilée. Alors seulement, je daignerai écouter ce qu’ils auront à dire.
(1) Ceux-là mêmes qui pourraient avoir été mes élèves, ceux qui me disent tant souffrir de rester toute la journée en classe et ne se sentir heureux que sur un terrain de foot ou à faire du vélo. Ils sont méprisés de toute part, ont pourtant mon estime. Mon estime totale.
Très bonne émission sur Rousseau, que je tiens pour un écrivain extraordinaire – sa plume est inimitable – et un homme exceptionnel : pas parce qu’il était meilleur que les autres, mais parce qu’il n’a rien voulu cacher de ses défauts. Des hommes capables de faire de leurs errances humorales une matière de travail sont plus que rares : à vrai dire, à part lui dans ses textes, je crois bien que je n’en ai jamais rencontré.
Le hasard a fait que mon premier Michel Franco fut aussi mon premier achat en ligne d’un film. Je n’en suis pas fière mais la chair est faible hélas et j’ai vu tous les films (qui du moins, parmi ceux disponibles gratuitement, me faisaient envie).
Celui-ci est bon. Ses acteurs, excellents – Tim Roth comme toujours, mais il faut dire qu’il a assez peu à faire ; Charlotte Gainsbourg, parfaite en héritière anglaise (1), tout comme Henry Goodman en avocat aussi discret qu’efficace. Je suis étonnée de la réception mitigée, voire franchement hostile du film par la presse spécialisée. Celle des Cahiers du cinéma et plus encore de Critikart, dont les articles souvent me conviennent. Toutefois, au cours mes recherches je suis tombée sur une pépite écrite par un « amateur ». Il faut la lire. En voici le lien.
Rien à retirer, une ou deux choses à ajouter. Concernant le découpage habile de l’histoire par le réalisateur, je la salue à mon tour, puisqu’il accomplit une grande prouesse, celle de laisser les liens entre tous les personnages dans une étrange suspension.
Celle-ci est en effet la clé de lecture du film : d’emblée un refus de la morale s’opère (la morale se suspend avec les signaux attendus des relations au sein de la famille autant que dans le milieu populaire d’Acapulco où se mêlent délinquance, mafia, farniente, tourisme et sentiment amoureux). Ce retrait de la morale se fait en effet au bénéfice d’une attention portée aux situations dans leur matérialité. Mais cela a déjà été écrit.
Revenons plutôt sur l’image du mélanome. Sa première occurrence a lieu assez tôt dans le film. Une ancienne et précoce hypocondrie transformée au fil du temps en un intérêt total pour le corps humain – oui, il arrive aussi que des passions tristes finissent par s’égayer – m’a fait reconnaître immédiatement la nature de ce furtif indice, et penser en conséquence que le personnage central, Neil, se savait souffrant. D’après les critiques tous n’ont pas perçu ce moment. Mais pour qui a identifié le symptôme de la maladie, toute l’attitude du héros est dès lors éclairée à la lumière (assommante) de ce soleil de plomb, dont l’image revient avec insistance chaque fois que le malheur s’abat un peu plus sur lui.
Cette information scénaristique, une fois saisie et parfois donc très tôt, a deux conséquences. La positive est que chaque exposition de Neil au soleil produit a minima un malaise. Pour les spectateurs les plus réceptifs, dont je suis, la gêne est même physique. Voir scène après scène le héros se faire griller la peau c’était comme me brûler moi-même – le climax étant le moment où, dans la cour de la prison, Neil s’arrache quelques lambeaux pelés. Chaque plan, aussi paisible semble-t-il, est empreint de douleur (la mienne), du moins de sa promesse (la sienne) et pas seulement intérieure (les nôtres) : une douleur à fleur de derme. Une matérialité morbide, non pas glauque mais gorgée de mort, parvient ainsi à contaminer le reste du film, à tel point que l’on pourrait dire que ce dernier n’est rien d’autre que la chronique silencieuse d’un organisme en train de s’autodétruire.
C’est un élément positif non seulement au sens où quelque chose se passe. Bien plus encore : toute expérience sensorielle, à mon sens, est un cadeau du ciel.
L’autre conséquence, moins plaisante, est que la lecture des comportements du personnage est elle aussi influencée par notre savoir. Il ne s’agit pas tant ici d’un Bartleby, un homme qui fait sécession pour mieux révéler l’absurdité du monde et de ce après quoi chacun semble courir (exemplairement : l’argent, le luxe, les gages d’amour familiaux), que d’un individu face à la certitude de sa mort prochaine. Le film ne s’ouvre pas sur un gouffre, il trace une trajectoire, suit une psychologie. C’est alors, disons, un peu moins fort. Plus trivial.
On a un semblable sentiment de (légère) déception quand Alice, la sœur du héros, accepte sans broncher la part d’héritage de son frère. Après avoir fait des pieds et des mains pour retrouver un peu de l’attention fraternelle, s’être plainte d’avoir été trahie et abandonnée par Neil, elle ne dédaigne pas ce don inexpliqué de la moitié de la fortune familiale. S’en tenir là aurait laissé un formidable goût d’hypocrisie et de vénalité. Mais Neil s’empresse d’expliquer dans la scène suivante que sa sœur « mérite » cet argent car des deux, c’est elle qui s’est investie dans l’entreprise familiale.
D’ailleurs, si l’on y réfléchit, on réalise qu’il y a quelque chose d’absurde à donner sa fortune aux trois êtres qu’on aime quand on sait qu’on va bientôt mourir. On apprend dans le film qu’Alice et ses deux enfants, autrement dit le neveu et la nièce du héros sont toute sa famille. Ils sont tout ce qu’il a. Tout laisse donc penser qu’à sa mort, ce sont eux qui auraient hérité de sa fortune. De toute façon. À moins que Neil ne souhaite éviter à tout prix à ses proches de payer des impôts sur la succession à venir, ce don est inutile. Or, rien n’est dit d’un tel calcul. On voit Neil décider de se débarrasser de ses biens sur un coup de tête. Et l’on imagine tout de même assez mal un homme capable de tout abandonner, saisi comme l’est cet homme d’une force qui le déborde, réfléchir en bon capitaliste soucieux d’optimisation fiscale.
Le don, reconnaissons-le, n’a pas grand sens, et plus probablement le personnage est-il perdu. On le serait à moins. On apprendra d’ailleurs à la fin du film que le cancer a métastasé au niveau du lobe frontal, zone du cerveau qui, comme chacun le sait, contrôle la prise de décision et les rapports sociaux. Un lobe frontal endommagé entraîne un changement de personnalité, une apathie et une réduction du langage. Rien n’empêche de voir dans l’attitude étrange de Neil et son mutisme presque total une conséquence (bête, triste et inévitable) de sa maladie.
C’est une hypothèse mais nulle preuve ne le certifie. Et surtout, on sent bien en lisant toutes ces possibles interprétations que ce n’est pas là l’essentiel. Ainsi dans Sundown les choses – explications, relations, décisions – , semblent-elles souvent un peu bancales. Peut-être du fait de la volonté du réalisateur, mais peut-être pas toujours. Et si elles s’avèrent parfois confuses, c’est parce qu’elles ne sont en réalité pas indispensables.
C’est pourquoi le film, bien que déjà très réussi, aurait gagné à taire tout à fait ce qui finalement relevait du hors champ de l’histoire – histoire qu’on peut résumer ainsi : un homme se dégage de ses obligations. Gagné à rester à l’os, nous le donner à ronger et rien de plus. Il aurait dû, je crois, renoncer à s’expliquer. On pourrait dire pour y voir clair : comme le fait Melville dans son célèbre roman, aussi simplement. En prenant le parti de se concentrer sur ce qui se joue véritablement sous nos yeux, sans doute Sundown aurait-il accru, et accru d’une manière encore plus terrible sa puissance de décomposition.
(1) Notamment, son jeu tandis qu’elle apprend l’hospitalisation puis la mort de sa mère est incroyablement juste.
J’apprends (sans plus de détails) qu’une querelle a opposé Godard et Pasolini au sujet de l’usage de l’usage du terme langage pour parler de l’art. Le refus de Godard de dire que l’art revient à inventer un langage m’étonne car dans le film À vendredi, Robinson, le réalisateur affirme à plusieurs reprises que l’association des mots et des images constitue pour lui un langage.
Trois possibilités à ce changement :
1 – Godard avait la manie de contredire ses interlocuteurs, quitte à se contredire lui-même d’un jour à l’autre (il y a des gens comme ça, et ce ne sont pas les moins intéressants)
2 – au fil des ans son avis a évolué dans le sens de Pasolini, au point de voir dans son œuvre une invention linguistique, avec vocabulaire et grammaire propres,
3 – l’isolement et la vieillesse aidant, son esprit est devenu moins acéré, et donc moins vigilant, et donc moins exigeant, à la fin de sa vie.
Une combinaison des trois options, une fois passés l’âge d’or du structuralisme et la mode du jargon sémiotique avec tous les débats d’intellectuels afférents, est aussi envisageable.
Concernant l’usage du mot langage qu’il m’arrive de faire mien pour évoquer la création artistique, reste à savoir si c’est là un emploi a) pertinent – si c’est exactement cela, un langage, qu’il s’agit -, b) approximatif, ou bien c) métaphorique.
Pour ma part je penche pour la dernière possibilité. Tout d’abord pour une raison statistique : on sait que la langue se construit beaucoup par métaphores. À chaque fait nouveau ou mal dégrossi son lot de métaphores, comme autant de renforts à la compréhension et au partage de celle-ci.
Puis par malice : ce serait drôle s’il s’avérait qu’on parle d’invention d’un langage dans une œuvre littéraire par pure… métaphore. Si on voulait développer une telle idée dans un essai, son titre serait immanquablement La littérature comme langage, ou, dans le plus pur style godardien : Langage de la littératureet littérature du langage. Ou mieux encore, cette fois pour parodier Lacan : La littérature est structurée comme un langage. Bref, d’avance, la marrade.
Enfin par sens pratique : la métaphore a le mérite de dire la chose, et de ne jamais la dire. Or ce genre d’entre-deux , ou plutôt de double pôle s’avère toujours fécond. Pour réfléchir il faut savoir prendre le risque de l’erreur – à condition, toutefois, de réfléchir vraiment et non de s’installer dans des automatismes de langage (on revient à notre point 1). L’idéal serait donc que je prenne le temps, la peine et le risque de réfléchir plus longuement à cette question d’emploi.