Pour reprendre la rédaction de Trois cafés que j’avais délaissée ces derniers mois, mais aussi et plus simplement pour retrouver le goût de l’écriture, le plaisir de sa pratique, je commence un atelier d’écriture en ce mois de novembre 2023. Il durera un an.
Cette page présente l’ensemble des textes travaillés d’une séance à l’autre, ainsi que les divers remarques et enseignements apportés grâce aux cours et conférences régulièrement proposés par l’école.
Il s’agit donc ici d’un journal d’écriture.

Bonne lecture !
Th = questions théoriques
Tx = mes textes en cours et questions autour de leur rédaction
NOVEMBRE 2023
Th – Quel(s) point(s) de vue adopter dans l’écriture de son texte
1) Le « je » (1PS) permet une plus grande proximité que la 3PS et donc l’entrée dans une forme d’intimité.
Grand avantage de 1PS car on a là le cœur du personnage. Mais problème de la mise à distance (point de vue unique qui peut être étouffant). Possibilité alors de jouer avec la temporalité (par exemple : accroche au présent, in media res, puis le narrateur revient sur le récit d’événements passés : reprise d’une chronologie et logique explicative. Le récit se déplie tranquillement jusqu’à revenir au moment de départ).
C’est comme si on avait deux curseurs avec lesquels on peut jouer (1- le degré de connaissance : de la seule introspection à l’omniscience ; 2- la distance temporelle : du présent immédiat, de l’action, à une vision englobante des événements antérieurs et futurs)
Mais en réalité (et bien sûr) tout est possible : ex d’un roman où la narratrice est un je… omniscient (qui évoque des faits qu’elle ne devrait pas connaître et des pensées d’autres personnages. En réalité, double narrateur qui s’enchevêtre-nt).
On peut imaginer au contraire une narration qui reste volontairement et exclusivement extérieure aux personnages. Rien ne transparaît de leurs pensées. D’eux, on ne connaît que les paroles et les actes. A charge au narrateur de maintenir un voile, un filtre permanent entre le monde et l’intériorité des personnages – intériorité qui, de fait, n’existe pas à proprement parler. L’écriture produit alors une construction sans sentimentalité (Peter Handke). A moins justement que l’intériorité de personnages s’avère ne pas être autre chose que la somme des actes qu’ils produisent – la somme de ce que leur corps effectue : gestes, phrases, mouvements. C’est presque là une option philosophique, une approche totalisante de ce que signifie « exister ».
Th – La question du héros
Selon les codes romanesques traditionnels, il doit être empêché, entravé à un moment ou un autre
Le héros est héroïque dans le sens où il parvient à faire quelque chose que les autres ne savent pas faire. En cela, il a un pouvoir (pas forcément un « super » pouvoir, mais une aptitude, une capacité ou structurelle, ou exceptionnelle qui lui permet d’accomplir quelque chose de singulier). Il faut prendre ces éléments dans un sens très lâche – et c’est ça, cette « lâcheté » nouvelle de la fonction du héros, qui est intéressante dans la littérature moderne.
Tx – Une question à se poser en début de rédaction : quel est le thème du texte en cours ?
Comment on peut abonner ses proches ; quel est le point de rupture ; à quel moment on estime qu’il faut partir, disparaître de la circulation
Tous les personnages du texte sont, chacun à sa manière, emportés dans une spirale, pris dans un mouvement qui les amène à disparaître tôt ou tard. Ils ne s’y opposent pas, acceptent de partir de la scène, mais aucun n’est tout à fait maître de ce dessein. Ils subissent une logique qu’ils n’ont pas vraiment choisie. Sauf Élodie. Les autres sont des brouillons d’elle. Elle, sait que la disparition (et le renoncement à une forme de confort social) est une nécessité, la seule bonne chose à faire. C’est ce qui en fait la véritable héroïne de l’histoire, même si elle n’en est pas la narratrice. Une héroïne qu’on peut trouver immorale, égoïste, mais une héroïne tout de même.
À lire :
P. Quignard : Villa amalia
JP. Toussaint : L’urgence et la patience
M. O’Farell : I am I am I am
Th – Deux éléments qui accrochent classiquement le lecteur :
- le choix cornélien
- le pacte
Tx – Mon roman en 15 scènes
1 – Prologue, scène à l’hôpital
2 – circonstances de la rencontre amoureuse (kiné)
3 – découverte du dossier médical
4 – dispute des deux sœurs
5 – filature
6 – conversation avec la sœur
7 – rencontre de l’ex
8 – séance de sport 1 et soirée amicale
9 – scène à l’hôpital
10 – séance de sport 2 (montée de jalousie)
11 – avec l’enfant (baby sitting)
12 – la sœur vient lui reprocher son comportement
13- la femme raconte (la confrontation finale)
14 – les adieux à la belle-mère
15 – épilogue
Th – Garder en tête qu’il s’agit toujours, en dernier instance, de faire du discours littéraire une succession d’images pour le lecteur (ou : la tâche de l’auteur consiste à faciliter la transformation par le lecteur du discours littéraire en images)
Projet de fiches personnages : il s’agit pour l’auteur d’en savoir plus que le lecteur sur le personnage > réservoir de scènes potentielles et, à l’inverse, concentration sur certaines scènes qui intègrent ce qui ne sera pas explicite.
Tx – Je levai à demie les yeux du grand album. Ce que j’avais appréhendé dès l’instant où je m’étais proposé était en train d’arriver. Toute ma crainte était postée devant moi, au milieu du couloir. Elle devait faire, quoi ? un mètre, un mètre trente peut-être. Plus je ne crois pas. Ne devait pas peser bien lourd, une vingtaine de kilos, et encore. Si j’avais été à la salle de sport, j’aurais pu la porter d’un bout à l’autre en courant. J’aurais pu la soulever et enchaîner deux allers-retours sans m’arrêter, sans penser que mon cœur allait exploser, sans suer, sans trébucher, sans haleter, sans geindre. Cependant je n’étais pas à la salle mais seul ou presque dans l’appartement de Fossaert. Sans personne pour me regarder faire. Personne sauf justement ma crainte. Qui me fixait sans relâche. Qui certes n’était pas grande mais, maintenant qu’elle avait quitté l’ombre où elle était tapie, s’avançait vers moi, prenait toute la place dans le salon. Et qui pour couronner le tout répondait à un nom.
Maxime ?
Qu’est-ce que tu fais debout ? Pourquoi tu ne dors pas ?
Je remarquai alors son air de triomphe : l’enfant ne cherchait même pas à l’étouffer. N’avait probablement pas dormi du tout. Juste attendu que son père quitte l’appartement suffisamment longtemps pour être assuré qu’il ne faisait pas juste une course rapide comme cela pouvait lui arriver. Le garçon se tenait désormais à quelques pas. Mais comment donc avais-je pu me fourrer dans une galère pareille ? Qu’est-ce qui m’avait pris d’aller raconter à Stéphane que je travaillais comme animateur ? D’où cette idée m’était-elle venue, à moi qui n’avais jamais eu d’enfant ni le moindre désir, n’y avais jamais eu affaire ni n’en ai eu à faire en aucune occasion, pas même une once, même pas de loin, ni via mon entourage social ni familial ? Et à présent que me faudrait-il faire pour que cet enfant retourne sagement se coucher ? Tu veux boire ? Il acquiesça en se détournant. Il ne me prêtait déjà plus tant d’attention que ça. Me préférait la cuisine, sans doute pour y chercher un biberon dans le frigo géant style américain à revêtement en inox, se servir un jus de fruit. Je ne savais absolument pas si je devais le suivre. Aussi vite que possible me levai et tentai de ranger l’album là où je l’avais trouvé. Trop tard. Tu peux me donner un verre ? Il était là, de nouveau, derrière moi cette fois-ci. Attendait sans bouger. Je me retournai en cachant le livre dans mon dos, le glissai avec négligence sous un coussin du canapé et rebondis pour m’approcher tout ça de l’air le plus dégagé qui soit. Ne manquait que le sifflotement. Lui m’observait toujours.
À la cuisine il me désigna un placard trop haut pour son petit corps.
Je lui tendis un verre. Puis, une fois qu’il fut à moitié vide ou plein le regardai aller dans le salon. S’asseoir sur le canapé pile à ma place. Tiens donc il ne veut pas retourner dans sa chambre. Après tout pourquoi pas le laisser ici. Mais s’il lui prenait l’envie d’allumer la télé je mettrais le holà. J’avais trop chaud à présent. Me servis à mon tour un grand verre d’eau fraîche. Essayai de le poser sans bruit. Ma main tremblait un peu. De là où je me trouvais je lui expliquai que le père avait dû chercher la mère qui avait un souci avec sa voiture qui était garée à l’autre bout de la ville, et qu’ils reviendraient tous ensemble, mais plus tard. Il se tenait assis, de dos, pendant que je parlais rien de lui ne bougea. Soudain sans la moindre hésitation il tira à lui l’album sous le coussin. L’ouvrit, se mit à le feuilleter. Bon. Il fallait que j’y retourne, dans ce salon. Je m’installai sur le fauteuil à l’oblique du canapé. Je n’allais tout de même pas lui reprendre le livre des mains, mon empressement aurait paru louche. Il valait mieux au contraire faire comme si tout était normal. Comme si cacher un album-photos derrière un coussin était la chose la plus ordinaire du monde. Comme si le sortir de sa cache et le feuilleter devant celui qui l’avait dissimulé l’instant d’avant n’avait rien d’étonnant non plus. Il convenait de laisser tout cela se faire, les choses couler de source, quelques minutes du moins. Idéalement que je commente même deux ou trois photos, voire pose des questions impliquées, me montre concerné comme le fait tout adulte sur n’importe quel sujet émanant d’un enfant c’est à dire avec une grande exagération. Car il me semble que plus ce que raconte celui-ci nous ennuie, plus son récit paraît s’étirer en péripéties et rebondissements insensés et tous pourtant plus fades les uns que les autres, plus l’enfant balbutie, plus il hésite et se répète et plus nous autres grandes personnes nous faisons un point d’honneur d’afficher un air intéressé. Et bien voilà, c’étaient cette fausse expression de passion, ces yeux écarquillés, cette bouche en cœur, ces exclamations chroniques et ces questions qui relancent que je devais prendre et faire durant quelques minutes tout au plus. De sorte que si l’occasion s’en présentait un jour, nous puissions dire, l’enfant, moi ou même nous deux, ensemble ou chacun de son côté, que ce soir-là nous avions regardé le grand album familial rangé dans la bibliothèque blanche. Le dire lui et moi avec un naturel égal, tel que Stéphane imaginerait que Maxime en avait eu l’idée seul, ou peut-être moi mais alors en aucun cas – aucun – poussé par une curiosité malsaine. Plutôt histoire de tuer le temps, de prendre un enfant par la main, instaurer un climat de confiance avec Maxime qui ne voulait pas dormir, le rassurer le bercer d’éléments familiers et bien sûr sans passer par les écrans, manquerait plus que ça, alors après tout quoi de mieux, quelle meilleure activité, quelle méthode plus efficace pour établir un premier contact chaleureux, simple et détendu que de regarder des photos de famille et se remémorer de jolis souvenirs, quelle intelligence de la situation, quel sens de l’à propos quand on y songe un peu, bon sang quel professionnalisme, mais quelle extraordinaire habileté. Je devrais donc patienter avant de lui prendre cet objet des mains pour le refermer d’un claquement sec. Et dans ce laps de temps, l’enfant dit Hélène c’est pas sa mère. C’est la femme de papa. Et tandis qu’il tournait les pages Ma mère elle est sur les photos, elle s’appelle Élodie. Et entre deux respirations Élodie est partie quand il était bébé. Elle l’aime toujours mais a beaucoup de choses très importantes à faire. Des choses qui lui prennent tout son temps. Elle ne peut pas s’occuper de moi. Elle m’aime mais je la vois jamais. C’est comme si je la connaissais pas. Elle non plus elle me connaît pas trop. S’il veut plus tard il la retrouvera. Quand il sera grand il pourra la chercher et la trouver. Elle est pas très loin d’ici. Il pourra la chercher. Mais attention ça sera pas une obligation. Ce qui compte c’est que je me sente toujours bien avec ma mère pas loin qui fait trop de choses pour me voir.