318 – saut (le grand)

Mercredi 15 mars

Mort de Dick Fosbury : comment l’athlète américain a révolutionné le saut en hauteur

Il avait baptisé son geste « Fosbury-flop » : c’est par « accident » que le champion olympique, mort dimanche, avait découvert la technique du saut en rouleau dorsal qui lui a permis de remporter la médaille d’or aux JO de Mexico, en 1968.

Par Clément Martel (Le Monde)

En 1968, Dick Fosbury a remporté l’or olympique aux JO de Mexico, en sautant à 2,24 mètres grâce à une nouvelle technique. – / AFP

Il a choisi de tourner le dos aux normes et aux consignes, et, ainsi, a atteint les sommets. L’athlète américain Dick Fosbury, qui a révolutionné le saut en hauteur avec une technique qui a pris son nom, est mort, dimanche 12 mars, des suites d’un lymphome, a annoncé son agent. Le champion olympique de la discipline à Mexico, en 1968, avait 76 ans.

Rares sont les sportifs qui ont laissé leur nom à une figure de leur sport. Le football a la panenka, le patinage artistique et la gymnastique comptent plusieurs figures portant le nom de leur inventeur – comme l’axel, par exemple – ; mais en athlétisme, le « fosbury » est unique, et a fini par conquérir tous les sautoirs du monde.

Né à Portland, dans l’Oregon – Etat du nord-ouest des Etats-Unis, berceau notamment de Nike –, en 1947, Richard « Dick » Fosbury n’avait pourtant rien d’un inventeur, décidé à révolutionner la science et la technique de son sport après en avoir minutieusement étudié le moindre paramètre. Si celui qui « adorait les matchs, les chiffres, construire » est par la suite devenu ingénieur, « toute cette histoire n’est qu’un accident », répétait-il à l’envi lorsqu’il lui était demandé de rembobiner la mise en place de sa technique – souvent, en amont de nouveaux Jeux olympiques. Un malentendu inattendu, une histoire de gamin prêt à tout pour gagner. « Le but n’était pas d’inventer quoi que ce soit, assurait-il à L’Equipe en 2012. J’ai développé cette nouvelle technique lorsque je sautais parce que je ne voulais pas perdre. »

A 16 ans, le jeune homme fait partie de l’équipe d’athlétisme de son lycée de Medford, dans le sud de l’Oregon, mais ne s’illustre guère. Celui qui n’avait pas été retenu dans les équipes de football américain et de basket de son lycée raconta souvent qu’il était alors le pire sauteur en hauteur de son école, sinon de l’Oregon. Pratiquant le ciseau, technique déjà désuète consistant à aborder la barre de face et passer une jambe après l’autre, le grand jeune homme – il atteindra 1,93 mètre – plafonne. Son entraîneur le somme de se mettre au rouleau ventral, technique en vogue alors, impliquant d’enrouler l’obstacle latéralement, à l’horizontal. Fosbury obtempère… mais régresse.

Frustré, il décide un jour de n’en faire qu’à sa tête. Après sa course d’élan, il se présente dos à la barre et l’enroule. Améliorant son record personnel de 15 centimètres ce jour-là, il récidive les semaines suivantes, et oblige son coach à accepter sa nouvelle technique. Donnant l’impression d’être couché pendant son saut, le jeune athlète attire l’œil de quelques photographes, qui ont tôt fait de légender l’image : « Le sauteur en hauteur le plus fainéant du monde ».

Grâce à son étrange technique, qui rend dubitatifs tous les observateurs, Dick Fosbury décroche une bourse à l’université d’Oregon. Et baptise son geste « Fosbury-flop », « autant par goût pour l’allitération que par autodérision, expliquait-il au Monde en 2007. Et parce qu’un journaliste avait décrit mes sauts comme ceux d’un poisson bondissant hors de l’eau. »

S’il commence à se tailler une solide réputation au sein de l’athlétisme américain, le jeune sportif demeure un inconnu à l’échelle internationale. Et c’est en altitude, aux Jeux olympiques de Mexico en 1968 (2 300 mètres), qu’il atteint le sommet de sa carrière. Avec sa technique dorsale, Dick Fosbury enroule une barre à 2,24 mètres, ce qui lui offre le titre et le record olympique – alors. Et dès le début de sa « révolution », les entraîneurs adverses épluchent les règlements pour s’assurer que le sauteur de 21 ans n’enfreint pas les règles. « Il y a deux règles : l’appel doit se faire sur un pied, quel qu’il soit, et vous devez franchir la barre sans qu’elle tombe », précisait l’athlète, dont le style atypique et spectaculaire déclenche les « olé » du public mexicain.

Plus tard, des recherches attesteront que Dick Fosbury n’était pas le premier à avoir eu l’idée d’enrouler la barre par le dos. En 1961, un journal du Montana publie la photo d’un jeune homme, Bruce Quande, effectuant un « fosbury » – deux ans, donc, avant que ce dernier « n’invente » sa technique – lors d’une compétition scolaire. « Il n’a pas continué et n’a jamais revendiqué la paternité de ce geste », constatait Fosbury, qui a discuté avec lui bien des années plus tard. Mais le sauteur en hauteur en était persuadé, avec ou sans lui, son geste aurait fini par être adopté tant il tenait du spontané. « En faisant découvrir ce style au monde à Mexico, j’ai simplement eu le privilège de lui donner mon nom », concluait-il.

S’il a interrompu sa carrière sportive quelques mois après les JO de Mexico, pour embrasser la vie active d’« un jeune ingénieur, très middle class, normal » dans l’Idaho – ne parvenant pas à concilier sport et études –, Dick Fosbury n’a jamais remisé son passé. Et a raconté maintes fois ses premiers bonds dos à la barre. Il y a fort à parier que les années délayeront son histoire, et toutes les générations à venir de sauteurs en hauteur apprendront à effectuer un « fosbury ». Sans savoir, forcément, que ce geste porte le nom d’un athlète qui, un jour, a tourné le dos à ce qui se faisait pour n’en faire qu’à sa tête.