Jeudi 10 juin
De nouveau, voici quelques citations et notes revenant sur un roman de Javier Marías, cette fois Comme les amours, que je viens tout juste de terminer. Plus que dans les deux précédents, l’auteur donne tous les signes d’un roman à l’eau de rose (y compris par le choix de son titre) et c’est en fait tout le contraire. Rien de plus désillusionné qu’un récit de Marías.
Extraits
« Il est un autre inconvénient à pâtir d’un malheur : pour qui l’éprouve, ses effets durent beaucoup plus que ne dure la patience des êtres disposés à l’écouter et à l’accompagner, l’inconditionnalité qui se teinte de monotonie ne résiste guère. T ainsi, tôt ou tard, la personne triste reste seule alors qu’elle n’a pas encore terminé son deuil ou qu’on ne la laisse plus parler de ce qui est encore son seul monde, parce que ce monde d’angoisse finit par être insupportable et qu’il fait fuir. »
« Je suis en train de te parler de moi-même mort, je constate qu’il t’est plus difficile qu’à moi de te l’imaginer. Mais tu ne dois pas nous confondre, moi vivant et moi mort. Le premier te demande quelque chose que le second ne pourra te réclamer ni te rappeler, ni savoir si tu le feras. Alors, qu’est-ce que ça te coûte de me donner ta parole. Rien ne t’empêche de ne pas la respecter,, c’est gratuit. »
« La force des faits est si terrifiante que chacun finit par être plus ou moins en accord avec son histoire, avec ce qui lui arriva et ce qu’il fit et ce qu’il cessa de faire, même s’il n’en croit rien ou ne le reconnaît pas. »
« à la longue tout n’est que données et rien n’a trop d’importance, chaque chose qui nous arrive ou qui nous précède tient en deux lignes dans un récit. »
« Et quand Louisa sera de nouveau mariée, et ce pourrait être d’ici à quelque deux ans maximum, le fait et la donnée, bien qu’identiques, auront changé et elle ne pensera plus d’elle-même : « Je suis restée veuve » ou « Je suis veuve », parce qu’elle ne le sera plus du tout, mais « J’ai perdu mon premier mari et chaque jour il s’éloigne davantage de moi. Cela fait si longtemps que le ne l’ai plus vu […] » »
« On ne sait pas ce que le temps fera de nous en superposant ses fines couches indiscernables, en quoi il peut nous convertir. Il avance à la dérobée, jour après jour, heure après heure, et pas à pas empoisonné, il ne se fait pas remarquer dans son labeur subreptice, si respectueux et attentionné qua jamais il ne nous bouscule ni ne nous effarouche. Il apparaît chaque matin avec sa figure invariable et apaisante, nous assurant du contraire de ce qui se passe : que tout va bien et que rien en change, que tout est comme hier – l’équilibre des forces -, que rien ne se crée et que rien ne se perd, que notre visage est le même et aussi nos cheveux et notre contour, que ceux qui nous aimaient, nous aiment toujours. Et c’est tout le contraire, en effet, à ceci près qu’il ne nous permet pas de le concevoir avec ses minutes traîtresses et ses secondes sournoises, jusqu’au jour étrange, impensable, où plus rien n’est comme il en avait toujours été […] »
« Je souhaitai que les deux hommes arrivent enfin à baisser la voix, pour qu’il ne dépende pas de ma volonté de ne pas en savoir davantage. »
« notre relation était circonscrite à ces rencontres occasionnelles chez lui, dans une pièce ou deux »
« votre obstination, qui souvent n’est qu’égarement, fait peur »
Notes
– Le souvenir des gens qu’on aime est entaché de leur fin (effet de contagion rétrospective)
question : et quand la personne n’a pas eu le temps de naître ?
– Présent : indécis (multiplication des options données par le narrateur, comme dans Jacques le fataliste) // passé : irréversible (sauf rebondissement)
– Les objets des disparus : ce qui leur reste de vie
question : quelle évolution, quelle vitalité attribuer à ces objets ?
– On ne peut regretter ce qui n’a pas été
– « quel malheur quelle chance »
– Les figurants de nos existences ./ ceux qui sont au premier plan
– « une désinvolture illimitée »
– Cette personne a-t-elle bien fait ce geste ou non ? Le temps passe, on n’en est plus très sûr.