Vendredi 2 juillet
Deux choses saisissent dans Le petit lieutenant de Xavier Beauvois : le visage de Nathalie Baye et les dialogues. Le visage de Nathalie Baye n’était pas encore retravaillé par la chirurgie en 2005, ou à peine. Il ne me viendrait pas à l’idee de reprocher à quelqu’un, et encore moins si c’est une femme, de vouloir modifier, quitte à réduire leur puissance expressive, les traits de sa figure pour atténuer les signes de vieillissement. Mais le fait est que dans ce film, la manière dont le visage de l’actrice s’emplit de la douleur supposée du personnage est proprement fascinante. Ce qui est fascinant c’est qu’il lui arrive de s’affaisser sous nos yeux. On le regarde faire. Ainsi, dans la scène où la commandante qu’elle campe se remet à boire, à partir de 1:15:02 notamment, elle n’a pas tant l’air d’une femme vieillissante que d’une femme alcoolique, ou abstinente (1). Plus tard dans cette scène, elle semble parfaitement soûle quand elle se lève, et définitivement abattue quand elle se rassoit. Tout ce moment est extraordinaire, il faut le voir. Et on ne peut que ressentir alors une véritable gratitude à l’égard de Nathalie Baye, d’habitude si classe, si distinguée, qui ailleurs y compris dans le film se tient souvent si droit, d’avoir su jouer ici l’affaissement avec tant de justesse. Le personnage n’a cure de son apparence, elle ne pense plus qu’à son malheur totalement intriqué dans celui de son enfant mort et du petit lieutenant, alors l’actrice elle aussi veut bien s’en foutre le temps du film. C’est là que réside son grand talent, dans cette acceptation (ou bien ce renoncement) intérieure.
Et puis il y a les dialogues, eux aussi d’une rare justesse. L’intérêt que je porte à cet aspect des oeuvres est encore récent. Plus exactement il a fini par me sauter au visage depuis que je compte travailler sur les différents discours que plusieurs personnages pourraient tenir sur un même événement (comme ici et là). Or si le diable est dans les détails, le réalisme, lui, se trouve résolument dans les dialogues. Il faudra y revenir plus longuement.
(1) En réalité, et par un phénomène difficile à expliquer si ce n’est par une très légère hésitation dans la bouche, on voit poindre l’alcoolique que le personnage est censé avoir été dès sa première apparition dans le film. C’est très furtif, une ou deux secondes, tandis que la commandante Vaudieu affirme : « Je n’ai pas bu une goutte depuis deux ans » (05:44).
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