139 – retardement

Dimanche 16 janvier

Conversation avec un ami sur les manifestations de nos émotions. Il me fait remarquer avec raison que rien n’est plus délicat que lire avec justesse les sentiments d’autrui mais aussi les siens propres à cause de l’effet de « retardement » : il est rare qu’une émotion soit immédiatement suivie de signes extérieurs. Il faut parfois attendre plusieurs jours, plusieurs semaines et même davantage encore pour que ceux-ci deviennent visibles. Il s’avère alors particulièrement difficile de faire le lien de l’une aux autres.

Je n’avais pas pensé à cela car chez moi les sentiments – sans doute les plus superficiels – et leur manifestation sont quasi simultanés (ce qui prend de la place, y compris dans ma compréhension de la psychologie humaine). Mais il y a dans cet oubli autre chose que ma petite cuisine personnelle. Il me semble que l’art n’a pas vraiment cherché à montrer ce décalage. Au contraire la littérature et dans une moindre mesure le cinéma ont tendance à resserrer ce lien intériorité/signe extérieur, à le rendre patent. Précisément parce que l’art a pour spécificité et les artistes parfois pour objectif de révéler ce qui ne se voit pas. Ainsi dans ce cas précis, on aura tendance à « mentir » (exagérer, raccourcir, simplifier) pour mieux montrer la puissance d’un sentiment. Le personnage voit quelque chose, en ressent par exemple de la joie ou de la tristesse et agit aussitôt en conséquence.

D’ailleurs comment faire autrement ? Comment faire comprendre sans enfiler de gros sabots que si le personnage se comporte de telle manière, c’est à cause d’un événement antérieur, un événement qui entre-temps aura peut-être été oublié par le lecteur/spectateur ? Je manque d’exemples. Mais il en existe forcément (autres que des histoires de vengeance, bien plus fréquentes dans la fiction que dans la réalité). Être capable de produire ce type de décalage à la fois temporel et causal dans un roman qui se veut réaliste apparaît tôt ou tard comme une nécessité. Un indispensable casse-tête. À tenter, donc, mais encore.

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