Vendredi 9 avril
J’ai retrouvé dans un de mes sacs mon exemplaire de Shot, de Patrick Bouvet. Dans un geste spontané je l’avais pris dans ma bibliothèque il y a plusieurs semaines de cela pour le lire au collège entre midi et deux. Alors, je l’avais à nouveau parcouru avec plaisir (je ne l’avais pas lu depuis sa sortie en 2000) puis oublié au fond du sac comme je le fais souvent.
La particularité de ce texte est qu’il se présente avec de courtes strophes et procède par boucles (le texte avance par des répétitions de termes où sont introduits de légers changements d’une phrase à l’autre, comme si l’auteur essayait différentes combinaisons pour créer du sens et décrire des images – photographies, vidéos, etc).
Or, je réalise que depuis la (re)lecture de Shot et sur un temps très court, je me suis procuré À la ligne, feuillets d’usine de Joseph Pontus et Un hamster à l’école de Nathalie Quintane. Voici un extrait de chaque texte :
« Ainsi
Avons-nous eu droit
Entre autres notabilia
À une assistante sociale disant « Parler est un
besoin écouter est un art répondre est une
nécessité »
À une infirmière disant « Un soin réussi c’est
du bénéfice pour tous »
À un ergonome disant « La rotation aux postes
n’est pas un jeu de hasard les gains sont assurés »
Et
Surtout
Celle qui nous a fait rire un bon mois
Une opératrice de production piéceuse aux abats
rouges disant « Moins je porte mieux je me porte »
Je me souviens que le matin où l’affiche avait été mise
On se marrait
On se marrait
On se marrait
« Moins je porte mieux je me porte »
Bah oui tiens
C’est une bonne idée ça
Qu’on aimerait bien t’y voir mec de la com’
Pousser une journée avec nous
Et si tu pouvais aussi nous filer des tuyaux pour
porter pousser tracter tirer moins
Qu’on est plus preneurs que de tes affiches à la
con »
À la ligne de Joseph Pontus
« – Eh bien, ce pressentiment que j’avais eu
d’rentrer dans un tunnel sans fin en allant en
prépa, c’était pas faux, parce que dans la
foulée je suis devenue prof.
Ce qui est complètement dingue quand on y pense
c’est que tout ce bazar, les nuits sans dormir
les devoirs de 8 heures, le prof qui te traite de
[cochon
et que t’es l’élite de la nation, les 2-3 ans à pas voir
le jour quand t’en as dix-huit dix-neuf, tout ça
que t’aies le concours ou pas, que tu deviennes
normalien-lienne ou pas, ça te mène jamais
qu’à être prof. C’est vrai
que si tu continues dans le même style mais
dans d’autres écoles de même style, alors plus
[tard
tu deviens ministre, préfet ou chef d’entreprise.
Et je me demande si c’est pas justement d’avoir
[vécu
cette jeunesse-là qui fait que les ministres, les
[députés
par exemple
à cinquante ans ont l’air aux fraises, à s’exciter
sur l’autorité
ou tout à coup à se lâcher
comme si leurs parents venaient d’un coup
de leur permettre de sortir.
Un hamster à l’école de Nathalie Quintane.
Je pourrais dire que la lecture de trois textes de cette facture est un jeu de hasard. Mais je n’y crois pas et pense qu’en choisissant ces livres j’ai cédé à quelque monomanie soudaine. Vraisemblablement le passage à la ligne permet ici d’atteindre plus sûrement le réel. Un réel en tant que mécanique : drôle, absurde et presque chantant certes, mais où l’existence de chacun s’avère tout de même répétitive, étriquée, en un mot méchamment contrainte. Dans ce cas, le retour à la ligne agit comme une camisole (et c’est toute sa puissance).
2 commentaires sur “8 – à la ligne”