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Mardi 6 avril 2021

a peintre et le voleur, de Benjamin Bree, 2020

La peintre et le voleur, de Benjamin Ree. C’est un documentaire, mais un documentaire qui se donne l’allure d’un film qui se donne l’allure d’un documentaire. Ou bien une reconstitution. En tout cas, certaines paraissent improbables à capter. Comment se fait-il que la caméra soit avec la peintre (Barbora Kysilkova) au tribunal quand elle propose au cambrioleur (Karl Bertil Nordland) de le revoir ? L’avait-elle décidé avant de se retrouver face à lui ? Et en avait-elle informé le réalisateur ? Est-ce parce qu’elle l’avait décidé qu’il a été décidé de faire un documentaire ? Elle dit pourtant qu’elle a été saisie devant le voleur, comme tombée amoureuse.

Et lorsque le voleur se retrouve obligé de quitter l’appartement de sa petite amie, pourquoi la caméra est-elle encore présente ? A-t-il appelé le réalisateur en catastrophe pour lui dire : « Hé, je dois partir en catastrophe de chez moi, tu as dix minutes pour venir me filmer prévenir Barbora de mon départ. Ensuite j’aurai un accident grave. » Très étrange.

Je suis allée voir sur facebook, ces gens existent, ils ont un profil et mettent leur page régulièrement à jour. Ils sont bel et bien vivants. La peintre branchée s’exprime couramment en français, tandis que Bertil écrit uniquement en Norvégien (dans le film, les deux protagonistes se parlent en anglais). Les données sociologiques sont cohérentes. Et quand la vie filmée, peut-être même refilmée, de personnes dont on retrouve les interactions sur la célèbre plateforme virtuelle se double des peintures hyper-réalistes de Barbora K., on n’est pas loin d’avoir le vertige. L’effet du moins est fascinant.

Dernière chose : après le séjour en prison de Bertil, il me semble que quelque chose prend fin. Peut-être pas l’amitié des deux protagonistes, mais la période d’attraction mutuelle. Bertil, d’ailleurs, a totalement transformé son corps par la pratique de la musculation. Disons que c’est palpable. Son côté éphémère rend cette histoire peut-être plus belle encore. Dès lors, tout le reste (scène des retrouvailles, puis diffusion et promo du film, exposition des peintures avec comme modèle Bertil) me semble comme la tentative de prolongement d’un temps révolu.

Lien vers le documentaire, visible sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/099741-000-A/la-peintre-et-le-voleur/?fbclid=IwAR39CiNgw3hSX3bDeNXIs0Kyecfa_hFUjLCyS0qQ4P6frp61Cjvz9SYxYOg

2 – échapper à Jim Sullivan

Mardi 6 avril 2021

À propos de La disparition de Jim Sullivan, de Tanguy Viel. J’ai lu la première moitié du roman avec un grand enthousiasme. Le choix de l’auteur de parsemer l’histoire de commentaires du narrateur/auteur sur ses choix d’écriture, cette mise en abyme donc, est plus que maligne : elle est audacieuse et risquée. Sans parler de l’humour que le procédé permet de distiller. Pour tout cela j’ai ressenti à la lecture une espèce d’immense gratitude pour l’auteur, une joie enfantine.

« Moll s’était sentie obligée de récurer la douche avant d’y entrer – j’insiste sur certains détails, non pas qu’ils soient importants en eux-mêmes mais parce que j’ai remarqué qu’on n’écrit pas un roman américain sans un sens aiguisé du détail, que la saleté de la douche ou le ressort grinçant du matelas ou bien la lumière de la lune qui tombait sur le visage inquiet de Dwayne, ce devait faire comme des flèches que j’aurais lancées dans le coeur du lecteur. »

Puis soudain, au milieu du roman, plus rien du tout. Ni joie, ni plaisir de la découverte, juste l’envie de refermer le livre. J’ai failli le faire mais j’étais à vrai dire partagée. Était-ce encore ma terrible manie d’arrêter la lecture dès que j’ai (un peu) le sentiment d’avoir compris comment ça marche, comment le texte marche ? Était-ce ma fichue superficialité, qui me fait inexorablement m’émerveiller puis me lasser, comme un setter irlandais courant en tous sens d’un papillon à l’autre dans un champ de coquelicots ? Non, pas cette fois, puisque mon apathie soudaine, bien que forte, n’était pas totale. C’était autre chose. Cette autre chose, c’est le sentiment soudain qu’à ce stade du roman tout était joué pour le personnage. D’un coup, on comprenait que l’affaire était pliée, et qu’il était désormais inutile d’envisager une quelconque amélioration de sa situation. Par je ne sais quels moyens, T. Viel est parvenu à le faire saisir, là, au milieu du texte. Alors il m’a fallu passer outre cette certitude pour poursuivre ma lecture. Il a fallu avancer ainsi, avec cette absence d’espoir. Pas facile, ça. J’ai attendu un jour ou deux je crois. Puis j’ai repris le livre et je l’ai terminé. Dans la foulée j’en ai commandé un autre, Article 353 du code pénal, qui m’a été maintes fois conseillé.

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Lundi 5 avril 2021

Marilyn Monroe dans Niagara, d’Henry Hathaway 1953

Hier soir, vu Niagara, d’Henry Hathaway. Le film date de presque 70 ans. En regardant ce film que je n’avais pas revu depuis mon adolescence, j’ai été frappée non seulement par la démarche de bimbo entravée de Marilyn Monroe, actrice dont j’ai toujours admiré la beauté, mais encore par les mimiques qu’elle faisait en parlant. Certains plans ne semblaient conçus que pour la montrer en train de parler aux autres protagonistes, postée le plus souvent de trois quart face caméra afin de mieux mettre en valeur ses formes, tandis qu’elle bougeait ses lèvres de la façon la plus sensuelle possible (le film est un thriller). Voilà la participation de Monroe dans ce film : trois scènes à moitié nue, quelques autres où on la regarde s’éloigner en balançant son derrière et d’autres où elle nous fait une moue suggestive. On sent à chaque nouveau plan comment le réalisateur a fait comprendre très précisément à la star ce qu’il attendait d’elle – mais je crois qu’elle savait tout cela sans même qu’on ait à le lui expliquer. Dans ce film on sent toute la machine hollywoodienne, totalement déshumanisée, acharnée à réduire un corps vivant à l’équivalent d’une poupée gonflable. On sent l’appel de produit qui s’opère à tous bouts de champ.

Évidemment cela je ne le voyais pas à 15 ans. Je voyais la beauté de Marilyn et c’était beaucoup. Ce que je ne voyais pas non plus, et c’est peut-être le plus remarquable, c’est la façon dont l’industrie du cinéma de l’époque est parvenue à mettre en place un dispositif qui falsifie : on fait mine de diffuser au grand public un film bien sous tous rapports, où les méchants paient leurs crimes et la femme adultère est punie de mort violente, un film où la morale est toujours sauve, mais pour qu’à chaque prise de vue il soit donné de mater des fesses, des seins, une bouche. En 1953, le dispositif moral inhérent au cinéma n’a d’autre tache que de montrer ce que la morale réprouve au plus haut point.

En est-il de même aujourd’hui ? Continuons-nous à former des écrins de moralité pour mieux jouir de nos désirs inavouables ? Sommes-nous moins hypocrites ?