209 – le traitre

Dimanche 22 mai

de Marco Bellocchio est un très grand film. Mais en lisant quelques critiques juste après l’avoir vu je me rends compte que c’est une affaire entendue. Plutôt qu’une analyse globale du film, quelques traits saillants alors suffiront, d’autant que le film est somme toute assez classique dans les procédés narratifs qu’il emploie : moments montrant l’amour que se porte le couple entrecoupés de scènes de meurtres, temps médian du procès, retour à une vie à peu près normale jusqu’à l’arrivée de la vieillesse et de la maladie.

Non, ce n’est pas à ce niveau-là que le film a inventé quelque chose. Mais dans son approche des personnages, et du principal protagoniste en particulier. Un attachement, né d’une grande attention, s’opère irrémédiablement. Le héros Buscetta est sans doute présenté comme un homme intègre, qui du moins a certaines valeurs, mais peu importe qu’on adhère ou non à cette thèse : on le voit vivre, hésiter, prendre soudain la posture noble et solide qui lui sied si bien. Or dans tous ces moments, par leur tranquille et muette exposition, le spectateur devient partie prenante : on est avec lui, dans tous les sens du terme. Idem lors de l’extraordinaire scène de l’attentat contre le juge Falcone. On est dans l’habitacle, regarde le coin de visage du juge dans le rétroviseur le plus longtemps possible, le cœur s’emballe, enthousiaste, terrifié. Sans parler des scènes de meurtres d’une grande violence, non pas tant à cause de la manière dont les hommes sont mis à mort (le cinéma nous y a habitués), mais parce que le réalisateur prend le temps et la peine de nous faire saisir ce que les autres films du genre ont tendance à évacuer, à savoir que chaque assassinat est d’abord une maltraitance, la torture d’un organisme telles qu’elles finissent par lui ôter toute possibilité de vie. Ce qui compte dans le meurtre n’est pas tant la quantité d’hémoglobine écoulée que le point de rupture auquel le corps est mené. À ce titre, l’étranglement simultané des deux fils de Buscetta est d’un réalisme difficile à soutenir du regard – et d’ailleurs, où regarder ? On est face à deux agonies produites dans le même cadre : la vue d’ensemble est, de fait, impossible. Pourtant, on entrevoit dans le même temps le mythe de la descendance maudite. Et la séquence où sont sacrifiés les deux frères finit par atteindre inévitablement sinon au sublime, du moins au sacré.

Et si sublime il y a, c’est indéniablement du côté du jeu de Pierfrancesco Favino, qui occupe le rôle de Buscetta. Acteur assez fascinant, au physique étrange et charismatique, son visage, sorte de mélange entre celui d’Hugh Laurie et de Javier Bardem, est une œuvre où se lisent tout au long du film les multiples facettes du personnage. C’est dans les procès qu’il donne à celui-ci sa dimension la plus forte. Il faut dire que les dialogues avec les hommes que Buscetta est venu dénoncer y sont savoureux ; là encore, d’une grande précision, d’un réalisme mordant. On les voit s’insulter, dans un dispositif aussi idéal qu’il semble ironique – les interlocuteurs sont installés côté à côte mais à distance. Leur envie de s’étriper monte sans qu’ils puissent l’assouvir.

Est alors joué à merveille – c’est à dire sans surjouer – le surjeu du ressentiment. En développant : les acteurs exposent sans trop en faire comme on en fait toujours trop lorsqu’on se retrouve devant un auditoire qu’il faut impérativement convaincre. Quel spectacle que celui-là.

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