254 – trouble

Jeudi 29 septembre

Trouble tous les jours, de Claire Denis.

Vu au cinéma il y a trois siècles puis revu là, tout récemment. C’est sans appel, regarder un film est infiniment plus facile que lire un livre – et ce n’est pas qu’une question de temps, mais de nécessité de concentration, de mobilisation intérieure, bien moindre devant un écran où défilent des images. Voilà que je me mets à constater des banalités.

Je n’avais absolument aucun souvenir de ce film, si ce n’est *souvenir1 celui d’être installée dans la salle, seule, bien en face de l’écran (normal). Chose plus étonnante (que regarder un film de face, ou même que ne pas se le rappeler quelques années après l’avoir vu, même de face), le revoir ne les a pas ravivés (les souvenirs). Ce dernier visionnage était comme une première fois. C’est tout dire.

Bon, mais que dire ? Vincent Gallo était alors le plus bel homme du cinéma (ah tiens, *souvenir2 : il avait eu la bonne idée d’aller prendre en même temps que moi un verre à la Belle Hortense, un soir à Paris, pendant ce que je reconstitue à présent, et après quelques savants calculs, comme étant la période du tournage du même film). N’ayant pas encore clamé son amour pour Trump, encore moins béni(to) Meloni et le peuple qui l’a mise au pouvoir, il était alors désiré sans réserve.

Quant à Béatrice Dalle, que *souvenir3 j’avais croisée plus tard dans un bistrot de l’île Saint Louis, cette fois au petit matin un dimanche, elle ressemblait pour de vrai à un félin hypnotique (je ne faisais pas la tournée des bars de la capitale, je vivais dans ce quartier) : grande bouche, grands yeux, petite mâchoire, jambes longues et fines. On comprend parfaitement que Claire Denis les ait voulus pour son film. Tout comme elle a voulu la jolie brunette aux yeux bleus aussi pure qu’une enfant ; la bonne à la mine boudeuse qui s’allonge en douce sur les lits des clients de l’hôtel où elle travaille pour goûter un peu de leur luxueuse existence ; et le sage noir, taciturne et un peu sorcier – pardon : médecin -, gardien des secrets autant que des remèdes. Qui a dit que les clichés n’étaient pas cool ?

Soit. Mais encore ?

Mais encore deux choses :

1) l’enchaînement des scènes quasi sans paroles, choix esthétique d’autant plus savoureux que peu de cinéastes osent le faire. Mais à l’inverse, les longues scènes qui n’ont pour but que de raconter ce qui est arrivé « avant », pour s’échiner à nous rendre crédible la maladie des vampires au seul (et maigre) prétexte qu’on en connaîtrait l’origine ; ou pour faire parler le représentant de « l’esprit Canal » qu’était alors José Garcia en blouse blanche dans un anglais approximatif (SO unexpected !) à un Gallo qui l’écoute sans broncher, sont à peu près superflues.

A bien fait donc, mais pouvait mieux faire. J’en suis certaine, Trouble every day, qui paraît pourtant peu disert, aurait dû se passer de 70 % de dialogues supplémentaires ; en plus du fait qu’auraient pu nous être épargnés les Tindersticks, groupe de slows cancanés qui a ruiné à peu près tous les génériques de Denis et les films de Chéreau – je m’emporte : Chéreau (souvenir4 : souvent croisé à Oberkampf) évidemment n’a eu besoin de personne pour ruiner ses films, il le faisait très bien tout seul.

2) Puis les quelques (les rares) scènes de meurtres, tombées à pic ou plutôt bien amenées et qui font forte impression, au point de laisser, il faut le reconnaître, un peu de leur empreinte quelques jours durant. Il manquait cependant un jet de sang jaillissant franchement de la gorge du cambrioleur. On ne comprend pas bien de quoi il meurt, quel organe lâche. Un trou dans la carotide était le plus plausible. Quel dommage de se vouloir si explicite sans s’astreindre pour autant à la précision.

Ainsi ce film, bien que largement survendu à sa sortie – la grande majorité des critiques avait alors évoqué un chef-d’œuvre – n’était-il pas dénué de qualités. Cependant le tableau ne serait pas complet sans son remerciement final. Merci Agnès B.

Un sobre remerciement, épuré comme la ligne de vêtements. Mais comme on sait désormais qu’elle fonctionne au cliché qu’elle s’évertue ensuite à masquer, on devinera sans mal dans le creux de ces quelques (ces rares) mots que Claire remercie Agnès pour son soutien financier, la longue amitié et la confiance sans faille, les fous-rires revigorants – survenus quand le moral de la réalisatrice flanchait – et la petite veste en cuir que Vincent porte dans le film.

Que reste-t-il de tout cela ? De cette œuvre ? De ce monde ? Ce tout, tout petit monde ? Pas grand-chose, il me semble. Déjà.

Épilogue. Le tout début du film, où un couple s’embrasse si langoureusement que ça en devient à la fois intéressant et monstrueux, intéressant parce que monstrueux, maintenant que je l’ai revu fait remonter en moi un *souvenir5. Ça se passe sur un quai de métro. Un jeune couple se bécote avec force salive. Les bouches sont juste là, à quelques centimètres. Offertes aux yeux de tous. Elles ne se lâchent pas. Ça glisse, ça chuinte, ça clapote. Le bruit des mouvements répétés résonne, amplifié, sous la voûte. La scène, assez répugnante, paraît interminable. Mais à l’évidence l’effet est volontaire. Le couple s’embrasse ainsi au début, puis à la fin de l’histoire, dans une boucle fantastique (je parle du genre). J’ignore d’où vient cette image. Je ne sais même pas qui l’a réalisée. Tout ce dont je suis sûre, c’est que le film dont elle est issue est anglo-saxon. Ou bien un truc de Gondry, un OVNI. Cela m’ennuie de ne pouvoir en dire davantage. Ma mémoire décidément me joue de sérieux tours.

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